Rêve : “Un système endo-sacrificiel”
Nous connaissons Monsieur Grant depuis plusieurs années. Après avoir recherché dans le Thaï chi, le yoga, la méditation et bien d’autres démarches d’éveil de la personnalité, il est venu nous demander conseil.
Il a reçu une éducation traditionnelle bourgeoise de Province, c’est un honnête homme.
Il a toujours cherché jusqu’à présent à rendre service à autrui. Par contre il s’est notamment encombré dans l’existence de deux relations aussi négatives l’une que l’autre.
Quand il vient nous rendre visite, il n’est pas encore totalement dégagé de la projection affective sur sa seconde épouse d’apparence magnifique mais tueuse perverse.
Infantile et séductrice en prime, elle l’a laissé fort désemparé et incapable de toute nouvelle relation pendant un laps de temps aussi long que leurs épousailles.
Plutôt que de narrer l’existence de cet homme meurtri et cependant robuste, mais trop bien éduqué, nous nous contenterons d’étudier les rêves qu’il nous rapporte pour un entretien.
Rêve n° 1
« Dans ce rêve je vois deux chiens noirs, l’un d’eux est mon chien. J’ai l’impression qu’il tient les pattes d’un autre chien et j’éprouve le sentiment très vif qu’il a dévoré une partie de l’autre animal.
Aussi, je suis écœuré quand je m’aperçois qu’il s’agit d’une chienne en train d’effectuer une fausse couche.
Le chien a mangé une partie du fœtus en fait, pourquoi ? Je n’en sais rien ! »
« Je n’avais nullement peur dans le rêve, seulement je me suis trompé à son égard. »
A la première visite de Monsieur Grant, des chiens l’assaillaient déjà dans ses rêves.
Ces animaux sont d’habitude affectueux, mais il les avaient tellement sous-alimentés qu’ils étaient devenus agressifs aussi lui sautaient-ils au visage pour le dévorer !
Il n’échappait que de justesse.
Le chien représente l’animalité du rêveur, mais également ses parties affectueuses et fidèles. Ces animaux effectuent dans les rues des actes que la morale actuelle réprouve…
Ami fidèle et guide infaillible de l’homme par son flair étonnant, cet animal le guide dans sa “descente aux enfers”, pour les ésotéristes et les gens de culture mythologique, il permet de sortir du labyrinthe et des épreuves multiples qui attendent le voyageur dans ses péripéties au royaume des morts.
Notre ami ne nourrit pas assez son chien, puisqu’il mène une vie d’ascète, il est donc aux prises avec ses besoins érotiques.
« Voici bien les deux parties de votre animalité, l’une d’elle fait la guerre aux femmes, du moins au féminin ! Et là vous découvrez le pot aux roses ! »
C’est en effet, un problème de fond qui doit interroger le rêveur. A son insu, il se débrouille pour geler la relation possible avec une femme, par ses propos, son attitude, bref, il y a en lui un tueur qu’il ignore.
Il exclut la relation et le fruit éventuel et symbolique de l’union, donc le chemin de l’unité du couple harmonieux.
« Je suis dans une sorte de grand château. Je marche sur le chemin supérieur de ronde, en dehors j’entends des chants, des chœurs de musique classique particulièrement beaux. C’est Pâques et les gens vont à la messe.
Il y a également sur le chemin des êtres parmi lesquels je passe comme si je cherchais quelque chose que j’ignore.
Me voici maintenant à l’intérieur du château. Je passe devant une pièce où il y a des gens miséreux. Je me demande : “Pourquoi ne sont-ils pas avec les autres ?”
Nous sommes en effet, lundi de Pâques, cela ne me semble pas conforme, je continue mon chemin et passe devant une autre pièce où d’autres hommes effectuent une parodie de messe.
J’entends de la musique et du violon, je continue à monter des marches, je ne sais pas où je suis, ni où je vais.
Un chanoine est derrière moi, je lui dis : “Je ne sais pas ce qu’il y a derrière cette porte !”
Il me dit : “Poussez !”
Je la pousse, et il rentre, j’aperçois une bibliothèque très silencieuse où d’autres prêtres sont présents.
Je me dis que cet endroit n’est pas pour moi.
Je redescends et me trouve sur une haute table d’où je saute. Je me retrouve à terre. Il y a un tiroir à cette table, et une clé qui porte une étiquette, mais je n’arrive pas à lire car le tiroir est trop haut.
Je me retrouve dans la foule. Je passe au milieu de sarabandes de femmes masquées bariolées. Leur habit est très beau et très coloré, mais je sens dessous la sécheresse et la mort, aussi je les évite et passe à travers elles.
Un peu avant, j’ai rencontré un homme qui parle avec une femme blonde pour lui demander son chemin, et il s’en va. Je m’approche de la femme qui me semblait jolie de loin, mais de près elle est laide, aussi je m’en vais.
Une autre farandole continue. Elle emprunte un chemin entre les gradins où la foule regarde le spectacle. Je remarque un homme derrière une femme : il est en train de la peloter vulgairement et elle rit, car cela lui plaît !
La farandole redescend, et je remarque alors une femme qui n’a pas l’air d’apprécier ce que fait l’homme grossier. Il s’en prend à elle, et lui touche la poitrine, la renverse sur le dos.
Il tente de poursuivre ses manœuvres. Je vois alors la femme lui donner de violents coups de fourchette. A un moment, il en reçoit un dans la bouche et sur la langue, le sang coule un peu.
Je remarque sur les draps blancs l’empreinte de mains ensanglantées. Je suis horrifié de la scène et de la foule. Je me réveille. »
« Quelques temps après la même nuit, le rêve s’est poursuivi, mais je n’en ai gardé qu’une partie » :
« Je suis alors en compagnie d’un jeune noir de treize, quatorze ans. Je vois des vers sous sa peau. A un moment, un long ver sort du côté gauche de sa poitrine.
Je cherche un morceau de papier pour lui tirer le ver, car je ne veux pas le toucher à la main. J’ai crainte qu’il ne vienne vers moi et qu’il puisse aussi rentrer dans ma peau. »
Le ver est dans le fruit pour reprendre une métaphore.
Le système sacrificiel est transmis par la mère, conforté par des catéchèses erronées ayant enseigné le mépris de la chair, valorisant la mort et non l’amour.
Il a vécu le sacrifice, aussi s’est-il sacrifié et devient-il à son tour sacrificateur.
Une éducation catholique stricte particulièrement renforcée par une mère pratiquante, l’a enfermé dans le château, symbolisant une religion matriarcale initiale, vivant dans un exotérisme permanent.
Au passage les lecteurs auront reconnu la société de l’extraversion, celle de la fête matérialiste des apparences, où les putains se masquent et se bariolent. Elles n’ont de cesse d’attirer dans une parodie de relation les imbéciles qui s’y prêtent comme dans les films de Fellini. Elle ne véhicule, en effet, que la sécheresse et la mort. Le rêveur l’a parfaitement compris, mais dès lors :
« S’il faut n’épouser qu’une vierge castrée et castrante, parfaitement frigide et si l’on ne peut trouver du plaisir qu’avec une femme négative perverse, n’y a-t-il pas lieu de redevenir simplement animal ? »
C’est en effet le désir du chien noir qui l’agressait, et dévorait la chienne ainsi que son fœtus. Certaines mauvaises langues retrouveront le curé en soutane, dont la misogynie n’est plus à décrire, puisqu’elle a conduit au moyen âge sur des bûchers, des dizaines de milliers de prétendues sorcières.
L’ambiance du rêve évoque la fête Pascale, celle de la mort du Christ et de son ascension. Le rêve s’est déroulé en effet le lundi de Pâques.
Son inconscient lui révèle bien qu’il s’agit d’une parodie de messe, et qu’il y a au sein du château de la Déesse mère un ensemble de fils amants ayant revêtu soutane, prêtres silencieux de la mort et non point de l’amour, castrateurs sacrificiels éternels. Tel est, en effet, l’impact de la catéchèse sur la psyché de notre visiteur. Soulignons que les prêtres laïcs font de même.
En province, les temps vont moins vite que dans la capitale, et pareille constatation est monnaie courante, je dirais même quotidienne.
Heureusement, Mr Grant n’est pas destiné à devenir un rat de bibliothèque, à se conforter uniquement dans des élucubrations mentales a contrario d’une existence joyeuse. Cela nécessite l’acceptation de son corps, de ses instincts, de ses désirs, le nécessaire accomplissement de toutes ces bêtes qui constituent l’arche de Noé que chacun porte en lui.
Aussi, lui faut-il redescendre de cet édifice mental, retomber à terre, ce qu’il a fait en effet, mais pour s’intéresser ensuite à ce genre de femme masquée, et bariolée qu’il dénonce aujourd’hui.
Il n’a pas eu la sagesse d’Ulysse de s’accrocher au mât, de se boucher les oreilles, et de se faire voiler éventuellement le regard. Personne ne peut le condamner ni le juger, car nous sommes tous à la merci peu ou prou de ce genre de sirène désormais ubiquitaire occupant l’avant scène, ne vivant que du charme et de la séduction pour mieux nous posséder et nous détruire. Telles sont les amazones. (Il y a autant d’hystériques masculins que féminins)
En cette période où les hommes sont rares, la fonction majeure des amazones est de défendre le château du père, le palais du prince œdipien qu’elles portent en elles et auxquels, comme les vestales du temple, elles sacrifient leur existence en pourchassant les malheureux séduits par la vue de leurs cuisses ou d’oripeaux qu’elles agitent, tels des chiens courants après des papillons.
Circé fit de même, transformant les compagnons d’Ulysse en pourceaux, aussi la grande farandole continue-t-elle. Dégrisé ayant vécu plusieurs années infernales dans les rets d’une fille semblable, notre ami a le désir sauvage d’un abord direct de la femme.
Son ombre qu’il réprouve serait un tantinet archaïque dans ses actions, car cet homme puissant, lutte sans cesse contre les besoins de sa “chair”.
Hélas sa partie féminine est agressive, sadique, aussi la relation sadique est-il incapable actuellement de relations, et vit-il un enfer que certains lecteurs ont pu connaître.
Pour conclure ce “flash”, cette demi-heure consacrée à un homme ensanglanté, il nous faut théoriser quelque peu. Le système endo-sacrificiel a fait suite aux sacrifices extérieurs d’animaux ou d’êtres humains. Dans certaines régions du monde de telles pratiques perdurent encore.
En Occident, la religion chrétienne a transmuté le cannibalisme en une eucharistie qui nous permet de connaître, du moins d’imaginer d’une façon sublimée le Dieu de l’amour.
Ce système endo-sacrificiel a été transmis par ses parents. Il a été conforté dès son enfance durant toute sa catéchèse, et une bonne partie de sa vie d’adulte par de tels enseignements.
Rien d’étonnant que ce programme opère désormais dans sa psyché, lui rendant la vie impossible, assurant un conflit névrotique dont-il nous faut espérer le délivrer.
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