La Mutation ou la Poussée de la croissance
Comme les serpents muent, nous changeons de peau. On peut comparer cette croissance à celle d’un arbre qui ne cesse de grandir. C’est un événement pas si fréquemment rencontré aussi, j’ai éprouvé le besoin de raconter l’histoire de Johanna. Elle a longtemps vécu un couple qu'elle supportait mal. Elle a donné vie à plusieurs enfants puis a décidé de «refaire sa vie ». Très courageuse, bien qu’elle soit sans profession et d’un rang social élevé prenant le pari de reconstruire son existence alors que toutes ses amies lui prêchaient la prudence et de demeurer soumise à la condition que sa mère avait prévue pour elle. Voici deux de ses rêves récents.
Rêve n° 1
« Nous nous trouvons ma mère, ma sœur et moi, dans l'ancien bureau de ma mère.
Je dis à ma mère mon désir de récupérer ma belle robe en soie bleue d'Yves Saint Laurent achetée il y a une dizaine d'années qu'elle s'était appropriée. Cette robe se trouve suspendue sous une autre robe brodée. Ma mère ne dit rien, elle me laisse découvrir ma robe et la prendre.
Je leur déclare que cette robe est vraiment celle que je préfère, qu'elle m'appartient, c'est dans cette robe que je me sens le mieux. »
« Ce rêve est très important pour moi car il se déroule à l'inverse d'une situation vécue il y a vingt ans comme traumatisante. Ce jour-là, ma mère m'annonçait qu'elle ne voulait pas que je me rende dans une ville universitaire voisine effectuer des études d'archéologie, comme j'avais prévu de le faire. «Ça ne peut pas nourrir son homme» m'avait-elle dit. Elle m'avait aussitôt inscrite le jour même chez Pigier pour que j'apprenne la sténo-dactylo ...
J'ai eu l'impression ce jour là qu'elle me coupait les ailes et, d'une certaine façon, je me considérais moi-même comme démissionnaire. A partir de ce moment, je me suis laissée porter par ma mère puis par mon mari, bref je me suis laissée enfoncer dans un rôle qui n'était pas le mien. Dans le rêve au contraire j'affirme simplement mon choix, naturellement, car j'ai confiance en moi.
La robe bleue symbolise mon identité, mon individualité, mon choix de vie, ce que je suis réellement et non une entité d’emprunt : la robe qui se trouve par-dessus celle que j'avais prise par défaut.
Dans ce rêve j'assume ma responsabilité, mon autonomie et je m'affranchis. ..
Je note également la correspondance entre le nom d'Yves Saint Laurent, la robe que j'ai achetée il y a une dizaine d'années, et le prénom d'Yves que j'ai connu lui aussi il y a dix ans. Enfin, le bleu est la couleur de la vie et pour moi il est vrai que la vie prend enfin des couleurs, du sens et je commence à l'aimer.»
La soie évoque le grand Soi et la couleur bleue, très chaude : un bleu royal, éclatant. Pour elle, une nouvelle vie commence par le fondement (muladhara chakra) a précisément cette couleur
Rêve n°2
« C'était l'anniversaire d'Yves. Je lui offre son cadeau : une lithographie représentant la mer, un paysage très serein, une plage stylisée à la manière de Nicolas de Staël. C'est un paysage d'une grande solitude. Je me rends compte, après l'avoir acheté, qu'il est très épuré : c'est très joli.
L'encadreur, une femme, emballait le cadre avec plusieurs étoffes précieuses rares : des soies, des brocards rebrodés de fils d'or, des tissus indiens et africains. C'est très beau.
Yves me demande de l'aider à défaire l'emballage. J'aperçois alors que ce n’est pas la lithographie que j'ai choisie mais une autre présentant mille fleurs colorées, fondues les unes dans les autres, c'est très beau et très gai. »
« Le paysage, c’était la représentation que je me faisais de ma vie. Un endroit serein, calme, presque une île mais lourde de solitude. C'était aussi la « non-vie », le désert relationnel.
Yves, c'était comme un frère, entre nous il ne s'était jamais rien passé. Il était dans le même schéma de vivre et de penser que moi-même.
L'emballage était très riche, chaleureux, fait de tissus précieux. Ma vie prend désormais des couleurs. Je prends soin de m'entourer de choses que j'aime, mon cadre de vie est agréable.
L'emballage évoque aussi ma façon d'être à l'extérieur. Le cadre est emballé. La première attitude est de se cacher, de se voiler. C'est l'impression de se donner à voir sous une forme plutôt agréable. Il est important pour moi de donner l'image d'une femme qui s'assume et prend soin d'elle.
Les fils d'or symbolisent selon moi une recherche intérieure, une aspiration à quelque chose qui ne peut être réalisé dans la vie quotidienne.
C'est une représentation de mille fleurs. Nous nous découvrons, Yves et moi, comme si à la place de l'île déserte c'était l'éclatement de la vie avec des couleurs, de la chaleur, de la gaieté, et beaucoup de joie. Les fleurs représentent aussi pour moi l'épanouissement de ma féminité, j'ai enfin accès au féminin, cela m'est permis car désormais ma relation est riche, joyeuse, profonde.
Cette nuit, j'ai effectué un petit rêve :
J'étais de nuit sur une grande place entourée de grands immeubles avec une amie avocate et des vagues énormes comme des murs de déferlantes venaient à droite. Je lui dis: « Vous voyez ces vagues monstrueuses, prenons vite de la distance ».
« C'était terrifiant mais je n'avais pas peur car je savais qu'elles n'allaient plus m'atteindre.»
Johanna sort d'une épreuve comme dans les contes de fées. Elle a dû vivre en dehors d'elle-même, non pas sous une peau d'âne mais sous le masque d'une épouse ayant tout ce qu'elle désirait exceptée sa propre réalité. Son père était insignifiant face à l'autoritarisme d'une mère tentaculaire. Désormais elle voit l'assaut des vagues énormes de la mer sans être apeurée. On retrouve l'image de la mère négative sans que cela n'entraîne un retour à des méthodes compensatoires inhibant la vie du sujet, sans régression.
« J'ai ressenti une grande impression de vide, d'abandon, je retrouvais ma petite enfance, ce sentiment m'a toujours poursuivi. Je devais exister dans ma solitude. J'ai donc mal vécu ces déferlantes émotionnelles réelles. »
« Grâce à cet effort désormais vous allez pouvoir enfin être vous-même ! »
Nous avons tous vu ces ingénieurs et techniciens japonais changer d'habits une fois rentrés chez eux pour revêtir le kimono traditionnel en soirée c'est-à-dire reprendre leurs habitudes ancestrales, se mouler dans la massification sociale.
En Indonésie, après une journée de travail dans les rizières, suivie d'un bain collectif dans la rivière, hommes et femmes revêtent un costume de cérémonie pour participer au Gamelan.
Changer de vêtements symbolise le fait de quitter une activité pour revêtir des habits d'apparat, de vie sociale, d'appartenance à un groupe, car changer de tunique n'est pas sans influence sur le psychisme.
Certes, l'habit ne fait pas le moine mais il signifie quelque chose en rapport avec une nouvelle condition. Jean-Yves Leloup relate, dans un petit livre récent concernant « Prendre soin de l'être» à propos de Philon et les thérapeutes d'Alexandrie, « comment » entrer chez les thérapeutes, c'est d'abord changer d'habits, se revêtir de « lin » que nous pourrions traduire qu'il faut se revêtir d'un habit exprimant le recherche de l'unité intérieure de l'être, son authenticité spécifique.
« Les moines chrétiens s'attacheront par la suite au symbolisme particulier des éléments de leurs habits (scapulaire, ceinture, etc.). » C’est d’écrire un état de déviance par rapport à l'état initial du thérapeute.
La rêveuse se dirige vers une relation d'aide, d'apport à autrui mais pour cela il lui faut réaliser un couple uni.
C'est un événement rare mais indispensable pour devenir un véritable thérapeute, c'est pourquoi elle devait recevoir avec autant d'émotion ce contenu numineux d'un habit non de bure, ni une soutane noire mais bien un habit reflet de toutes les couleurs de l'existence, de toutes ces fleurs qui viennent nous chanter la joie de la vie et la plénitude de l'existence.
J’oubliais de vous signaler que la fleur organe sexuel des plantes est aussi à prendre comme symbole essentiel : la communion passe par là !
Cette histoire montre bien ce reflet inconscient de l’éducation : le premier logiciel en quelque sorte.
Essayez de vous représenter la scène suivante : une jeune femme universitaire ayant des origines rurales après une bonne douzaine d’années d’échecs sentimentaux et enfin de pouvoir structurer un couple harmonieux. Bref, elle vit sa lune de miel après un désert relationnel qui l’a faisait cruellement souffrir. Or, curieusement, elle reçoit un rêve sanglant. Elle voit des foules de corps, les têtes séparées des troncs, les troncs séparés de l’abdomen, les mains coupées, bref un champ inquiétant de cadavres. Comme cela peut-il naître dans l’inconscient alors qu’elle vit un amour réciproque au point que chacun désire l’autre, vivre avec l’autre 24 heures sur 24 ensemble. Elle s’interroge donc sur la signification de ses visions sanglantes qu’elle ne peut interpréter.
Bien d’autres personnes au cours des trente années consacrées à la psychanalyse ont effectué des rêves semblables. Une jeune femme avait identifié les assassins en la personne des séminaristes… qui venaient de nuit poignarder les femmes dans leur lit.
En orientant les phares vers le sujet, on peut retrouver la manière de Freud ou de Jung, la trace d’un animus ou d’un surmoi dominé par un dangereux tueur. Or la rêveuse ne somatise pas, se dirige résolument vers la vie malgré les difficultés rencontrées.
La mutation ou la poussée de croissance repart en effet du fondement muladhara chakra. Il conditionne la vie de relation sexuelle, physique qui n’est pas à isoler des autres niveaux de développement du sujet. La vie passe par là, il faut la restituer pour repartir du bon pied vers sa réalisation propre. Telle est la loi d’amour que beaucoup ont oublié en chemin.