Préfacer un livre c'est, selon toute tradition, avoir le préjugé d'en dire fondamentalement du bien.
Or, je n'ai pu accepter l'honneur que m'a fait mon ami le Professeur Bernard HERZOG de préfacer son ouvrage qu'à la condition de pouvoir tout en dire, et le bien et le mal, toutes les réflexions que sa lecture m'a inspirées, le plaisir et l'intérêt que j'y ai trouvés, mais aussi les réserves qu'il m'a suggérées.
Car, son ouvrage est merveilleux et "impossible ", en même temps "impossible "et merveilleux: Il s'agit d'un livre complexe, prodigieux, comme tout livre qui apporte un progrès dans l'ordre de la pensée et de la vie ; mais " impossible " car il interpelle le lecteur avec une telle violence et il interpellera quiconque voudra bien ou aura l'imprudence de l'entrouvrir, qu'on ne sait plus si c'est un livre ou une bombe.
Le lecteur étant prévenu des risques qu'il encourt, j'essayerai d'esquisser le pourquoi de l'un et de l'autre aspect.
Mais, d'ores et déjà, qu'il sache que ce livre, il faut le lire et le méditer, en raison des outrances et du scandale que constitue le cancer.
Bernard HERZOG n'a reculé devant aucun des ingrédients que lui révélait l'analyse de ce scandale, de la nature, et des hommes, scandale des médecins et des thérapeutes abordant et soignant mal ce fléau, en voulant en général n'en voir que l'aspect corporel, somatique, tournant le dos à l'aspect mental et psychique de la maladie, alors qu'il nous apparaît ,tous les jours davantage, que c'est justement l'inverse qu'il faudrait faire, accepter et soigner les maux du corps, certes, mais en se demandant inlassablement pourquoi le mental l'a laissé se désorganiser, oui pourquoi le psychisme émotionnel profond l'a paralysé dans ses défenses.
C'est cette demande inlassable que Bernard HERZOG exprime impétueusement, avec toute son intelligence et tout son coeur, d'autant plus impétueusement qu'il sait combien les oreilles de l'intelligentzia sont encore fermées à ces rumeurs.
Qu'on ne vienne pas nous dire que nous sommes des trouble-fête, des empêcheurs de ronronner en rond!
Car, ce n'est pas nous la pierre du scandale! ce sont les maladies de la civilisation et le cancer qui nous obligent à élever la voix pour dire à cette civilisation qu'elle est malade et que les hommes ne peuvent plus y survivre et en crèvent!
Pareille entreprise supposait compétence médicale et psychologique, courage, audace, détermination, avant de se lancer tête baissée contre des murailles de conventions, de préjugés, de certitudes, d'ignorances, de résistances, et de la part des malades et de la part des médecins dont le rêve est en bonne technocratie, de soigner un corps-machine, sans devoir, en outre, prendre en charge un corps-âme-esprit, avec toutes ses sempiternelles complications qu'on ne leur a d'ailleurs pas appris à traiter, pour la bonne raison que jusqu'à il y a peu, tout le monde les ignorait.
Comme avant de sauter dans un plongeon de haut vol, il fallait d'abord faire une inspiration profonde!
Celle-ci dura tout le temps de la démarche d'initiation psychanalytique de l'auteur, que je puis signaler puisqu'il la mentionne dans son ouvrage, et que je souligne car elle a une valeur exemplaire de conscience, de sérieux et d'humilité. En effet, quand on est déjà Professeur Agrégé en Faculté de Médecine, cela ne va pas de soi de retourner sur les bancs de l'École, je veux dire sur le divan de la confrontation souvent amère avec soi-même!
Or, cette démarche est essentielle pour tout médecin qui veut aborder l'homme sain et l'homme malade en vérité, en échappant à son " Aveuglement spécifique et à sa Loi "!
Au cours de cette démarche initiatique - initiatique à soi-même, c'est cela l'analyse - l'auteur a découvert en lui-même ou confirmé quelques-unes des qualités d'intelligence, de finesse, de compréhension de la nature humaine et de ses mythes porteurs, qui sont la trame admirable de l'ouvrage que le lecteur prend en main.
De ses problèmes, il a su faire une source d'approfondissement et de science. C'est précisément cela une analyse réussie!
Ayant bénéficié du chemin, du processus analytique, il a débouché sur ce que j'ai proposé d'appeler la " simplicité de retour ", la simplicité retrouvée, après tant de complications, vécues et élucidées! Et cela sans perdre sa créativité! au contraire : ses dons et son intelligence se sont épanouis et il nous en donne maintenant le fruit dans ce livre et dans ses ouvrages.
Dès lors, cet ouvrage nous fait faire un grand pas en avant dans la thérapie de la maladie cancéreuse et aussi dans la compréhension de la culture et de sa crise.
Avec une force de conviction peu commune, Bernard HERZOG montre et démontre que la thérapie doit dorénavant passer, si faire se peut, pour une part toujours considérable, par un apaisement des conflits psychiques et une reconstruction de la personnalité mentale et psychosomatique du malade. Il le fait avec tant de force et de chaleur que je ne m'y attarde pas.
Pour ce qui est de la culture, je disais déjà dans le rapport au Congrès de Marseille2 que la prise en considération de l'approche psychologique aura un double effet : améliorer la thérapeutique - tout bénéfice pour les malades -, et obliger la société sous l'aiguillon du cancer à accueillir, à assumer et à intégrer la dynamique psychologique profonde - tout bénéfice pour la science psychologique si sous-estimée et reléguée encore de nos jours, alors qu'elle devrait être un instrument thérapeutique et secourable essentiel dans la bonne moitié des champs de la médecine et de la vie psycho-sociale de relations.
Je ne pensais pas en 1977 que le flambeau de mon espérance serait repris si rapidement et avec tant de force et de talent.
Qu'est-ce qui fonde ou justifie l'idée - qui en soi peut sembler inattendue ou même saugrenue - de vouloir traiter le cancer à l'aide de la psychothérapie?
Depuis toujours, on avait observé l'effet du moral sur l'évolution positive ou négative de la maladie.
Le lien psycho-biologique aujourd'hui semble évident : l'émotion profonde agit sur l'hypophyse qui dirige et régente tout le concert endocrinien. Or, c'est ce dernier qui, pour une grande part, régularise nos forces immunitaires.
Mais cette démarche n'a-t-elle pas quelque chose de prométhéen? Le rêve que peut avoir l'esprit de l'homme de régenter, de dominer le corps ne risque-t-il pas de basculer dans une certaine mégalomanie, celle d'une toute puissance de l'esprit, sur le corps? Or, là aussi et là surtout, il faut raison garder.
Il ne s'agit pas de prétendre passer du règne de la suprématie des forces biologiques à la suprématie des forces psychiques.
Il semble bien qu'il s'agira toujours d'un dialogue, d'une dialectique entre ces deux ordres de forces de vie.
Comment a procédé l'auteur ? ou plus exactement comment la vie a-t-elle procédé avec lui?
Il fut un étudiant brillant, toujours en tète de promotion en Science et en Médecine. Bernard HERZOG était à 24 ans docteur en Médecine, licencié ès Sciences, chef de travaux de Physique et interne des hôpitaux...
Dès le lycée, il mène une double voie, va aux Beaux Arts, compose des vitraux à 14 ans. Il n'a jamais cessé depuis de peindre et de dessiner.
Médecin... Insatisfait alors de ne soigner toujours qu'une des moitiés de l'homme, il plonge dans les disciplines psychologiques et analytiques. Il y édifie, par delà tout esprit de chapelle, une synthèse - sa synthèse propre à lui, mais lumineuse, d'une rare ampleur de vue, d'une grande force, synthèse du patrimoine analytique et l'applique avec maestria à l'objet cancer et à son étude.
Comme le cancer est la marque dégénérative de notre époque, des maladies de notre civilisation, en stigmatisant et en symbolisant tous les dangers et toutes les carences, les réflexions de l'auteur s'appliquent autant à la civilisation malade qu'au cancer. Il leur trouve un dénominateur commun qui est le socle de son ouvrage: une faille, qui va de la chair jusqu'au mythique, dans la mentalisation consciente et inconsciente de l'homme moderne!
Impressionné par les cas qu'il suivait en psychothérapie analytique profonde et par les matériaux émergeant de leurs inconscients, l'auteur a pris le parti de construire son livre en partant d'histoires de malades. Son livre est pour moitié l'histoire de quelques malades et leurs rêves, avec leurs associations, et pour moitié ses commentaires.
Esprit pénétrant et interprète plein de talent et d'érudition, certaines de ses pages sont lumineuses et exemplaires, enrichissantes par l'élucidation psychanalytique et mythanalytique qu'il donne de ces matériaux, merveilleux de spontanéité.
De ce fait, certains lecteurs pourraient juger ce livre accablant, tant les histoires de malades rapportées sont lourdes, graves, tragiques et pesantes. C'est que nous sommes dans l'univers du cancer où les histoires gaies n'abondent pas.
L'auteur, je puis l'attester, n'a rien peint en noir ou en plus sombre que ce n'est. En réalité, ce serait plutôt l'inverse. Le public imagine sans doute mal la force et le courage qu'il faut au praticien pour assumer pareils cas, soit dans l'espoir de les guérir, ou de les améliorer et au pire de les accompagner. dans une sérénité retrouvée. vers l'issue inéluctable.
C'est pour montrer la vitalité de l'imaginaire du malade cancéreux que Bernard HERZOG s'est concentré sur les récits de rêves. Que le lecteur les lise et les écoute - car c'est le malade qui virtuellement les raconte - comme des histoires du folklore et ils parleront d'eux-mêmes.
Il n'y a pas lieu de s'étonner d'une impression possible d'accablement puisque nous pénétrons dans le cosmos détraqué et chaotique du cancer.
L'impression d'accablement pourrait naître pour le lecteur de ce que ces faits du réel et de l'imaginaire, la tragédie des imbroglios familiaux et des somatisations qui partiellement en résultent peuvent renvoyer chacun à s'interroger très précisément sur sa constellation personnelle: Maman-Papa, Papa-Maman.
Or, un des plus grands mérites de cet ouvrage, au plan clinique et psychologique, est de faire apparaître la problématique parentale et ses enchaînements avec un relief, une pertinence et une crudité inoubliable.
Tout le monde, couramment, essaye de faire comme si, dans son cas particulier, tout était en ordre, qu'on avait échappé aux affres de l'œdipe et qu'on s'était construit une normalité, un consensus bien identique - aux variations individuelles près - au bon sens courant! En fait, rationalisations et refoulements ont fonctionné à plein et rares sont les êtres qui n'ont pas dû faire des numéros d'équilibrisme pour slalomer, enfant, entre les angoisses des nuits, l'amour de la mère, la haine du père, ou inversement, les impulsions de la puberté, et j'en passe!
Bernard HERZOG montre avec énergie et pertinence que quand toute cette machinerie se place mal, se détraque, l'hydre de la pathologie ne peut pas ne pas montrer ses multiples têtes, vite recouvertes par des " soins biologiques ". Mais aussi quand tout va apparemment bien cette problématique demeure là, latente, toujours capable à tous âges de sursauts dangereux.
J'aurais aimé, en première lecture, que Bernard HERZOG explique, précise et explicite davantage son projet et son plan. Qu'il aille chercher le lecteur bienveillant là où il est mentalement et d'où seulement il peut partir pour édifier sa compréhension.
J'ai été dérouté aussi par ce que je ressentais parfois comme des digressions.
Souvent, j'aurais aimé que l'auteur précise sa méthodologie, sépare faits, évidences, certitudes, de certaines autres affirmations qui sont davantage des intuitions, des hypothèses à vérifier, voire un merveilleux lyrisme prophétique.
Mais je dois ajouter, qu'en seconde lecture, beaucoup de ces objections se sont dissipées dans le feu des rapprochements lumineux et des enchaînements convaincants: la créativité se construit comme elle veut, comme elle peut et nous devons l'accepter et la recevoir à sa mesure et avec reconnaissance.
Toutefois, ne perdons jamais de vue que pour apprécier une thérapeutique, le champ physiologico-clinique est toujours fortement influencé par la relation, l'alliance, la dynamique du transfert et du contre-transfert, bénéfique Si elle est bien maniée.
Il est fort possible, encore plus qu'il ne le signale, que les heureux résultats de Bernard HERZOG aient été liés pour une part à sa forte personnalité, à sa force de protestation contre la bêtise et à sa force de conviction dans la catalyse psychique.
En fait, toutes les méthodes auxquelles il fait appel ou allusion sont reliées et orchestrées par la position centrale du sensoriel, du mental et du psychisme du malade et de l'homme.
En le précisant, l'auteur aurait peut-être plus sûrement guidé son lecteur et aurait été au devant des objections que le chœur des biens-pensants et autres tenants des divers rationalismes ne manqueront pas de soulever.
Je suis atterré d'avance à l'idée des malentendus que ce livre va provoquer, des rejets qu'il va susciter! Pourtant, il faudra persévérer dans la voie ouverte!
Je reste plein d'admiration devant ce livre clinique aux accents prophétiques qui adjure les médecins - dès qu'ils le pourront, dès qu'ils auront acquis la formation personnelle indispensable pour affiner leur réceptivité - de prendre au sérieux et en charge le psychisme de leurs malades au double niveau étiologique et thérapeutique.
Alors comment ne pas le suivre? Car il interprète les conflits humains du devenir familial et les mythes fondamentaux avec tant de pénétration, de panache et de brio que l'on ne peut qu'admirer la détermination avec laquelle il affronte l'homme vrai dans ses souffrances, tragiquement révélatrices de certaines de ses vérités.
Mais, je le sais bien, les réticences sont déjà là. Car Si on fait le premier pas, ce n'est plus à un " rien que " auquel on va se heurter mais à cet Himalaya merveilleux bien que souvent monstrueusement oppressant qu'est la psyché malade.
Or, il faut aller au fond des choses, au fond de la déprime, au fond d'une crise mentale, pour avoir une chance de remonter vers des synthèses nouvelles.
Soyons reconnaissants à Bernard HERZOG d'avoir tenté cette aventure, et d'avoir eu l'immense talent de la poursuivre, de la réussir.
Il relie, à juste titre, les horreurs de la maladie cancéreuse à beaucoup d'horreurs de la vie mentale et de la civilisation que celle-ci a engendrées.
Dans cette démarche, il fait surgir des pans entiers de l'homme vrai, décapé de ses oripeaux d'hypocrisie et de fausseté, dont l'être aime à se couvrir pour se mirer dans une image de lui-même dont il avait besoin peut-être pour vivre, pour survivre pour se supporter et espérer. Mais une accumulation de porte à faux finit par débouler en avalanche.
Ce livre vient-il trop en avance ?
Devant la recrudescence des états psycho-névrotiques on ne saurait le dire.
Inscrire le psychisme du malade cancéreux dans l'ensemble de son traitement est aujourd'hui une urgence!
Certes, cela oblige à mettre les problèmes de l'âme et de l'esprit au premier plan des préoccupations, en marge des problèmes biologiques et les englobant, les coiffant tous.
Chacun son domaine, protesteront les puristes. Oui, mais voilà, le cancer est au croisement des deux champs, physique et psychique et va obliger les esprits audacieux comme le fait Bernard HERZOG à englober les deux dans un seul et même regard, dans une seule et même démarche.
Les médecins du corps vont devoir s'ouvrir aux problèmes de l'esprit et les médecins de l'esprit vont devoir prendre le corps en compte.
Les difficultés seront rudes et les obstacles terribles.
Quand Bernard HERZOG avance que les médecins s'ouvrent peu à peu à pareille vue, oui, certes. Mais j'ai tout de même peine à partager son optimisme et je crains qu'il faille quelque catastrophe ou une bien longue évolution pour vaincre les résistances et déboucher sur ce qui est dorénavant pour beaucoup une évidence: le rôle du mental profond dans la genèse et aussi dans la guérison de certaines formes de cancer.
En acceptant la complexité folle de ses malades et en cherchant à tâtons à les aider, Bernard HERZOG va sûrement dans la bonne direction de la thérapie et de la recherche, pour faire renaître le bon sens vital, la logique du vivant (F. JACOB).
Mais suprême objection des esprits légitimement pratiques : sur quoi tout cela va-t-il déboucher? A cause du cancer, voilà l'homme confronté à sa déreliction métaphysique voire mystique. Nous voilà médicalement dans de beaux draps!
L'auteur entrouvre des portes: qui pourra le suivre! Il affine les diagnostics étiologiques de façon passionnante, faisant apparaître de nouveaux paramètres dynamiques capitaux.
Mais qu'adviendra-t-il au niveau thérapeutique? Il ne s'agit pas d'inviter les charlatans à se démultiplier et, à ce que n'importe qui fasse dorénavant n'importe quoi!
Alors ne sommes-nous pas face à une impasse, par manque de praticiens éclairés, à des exigences sans réponses, à une impuissance, à une demande sans moyens finalement à une désespérance?
A l'évidence, la réponse ne peut venir que d'une transformation profonde de l'orientation des études médicales qui devront viser à former non seulement des têtes bien pleines mais aussi des têtes bien faites.
La difficulté sera grande. Car, il ne suffit pas de faire " un peu de psychologie". Quiconque veut devenir " un opérateur de l'âme " doit au préalable avoir plongé au plus profond de lui-même, doit avoir sondé ses plus sombres abîmes et avoir trouvé la voie moyenne de son équilibre. Ce n'est qu'à ce prix qu'on pourra escompter une généralisation féconde et saine, en qualité et quantité, de la mise en pratique des thérapies analytiques à l'échelle des besoins psychologiques et sociologiques des hommes.
Connaissant dorénavant la nocivité de certaines situations, de certaines constellations humaines, de certaines déviations plus ou moins perverses, c'est surtout sur l'éducation et la prophylaxie que les efforts devront porter: là est une des clefs de la santé du monde.
Certes, on peut se laisser aller à rêver: Il faut tant de temps, d'efforts, de patience pour aider un être, un esprit à se remettre en ordre! A quand les super-conducteurs, à défaut de produit chimique, qui permettront de rebrancher un esprit défait sur le bon sens, le bien-être, la sensation d'être bien dans sa peau, bien dans sa chair et dans son esprit?
Ce super conducteur qui fera alors apparaître la " relation humaine " comme un produit second, résultat du bien-être et pas comme conditionnement de celui-ci.
Mais là nous nous heurtons à la nature de l'esprit en tant que " réalité autre ", influençable par des apports matériels et pharmaco-dynamiques certes, mais irréductible, comme énigme dernière, à toute réduction au plan de la matière.
Et là nous ne savons plus qu'évoquer l'archange de la vérité de l'être et l'opposer au dragon des impuretés et des influences subies.
Pour nos efforts de bonne rationalité l'âme est un genre de " monstre" qui échappe à toutes nos saisies, sujet d'à-coups, de ratés, de blocages délétères.
L'ascenseur pour le ciel n'est pas pour demain !
Bienheureux ceux qui traverseront cette jungle et s'y retrouveront, car cette lave brûlante fourmille de merveilles. Comprendre avec humilité ce qu'il en est de l'être, de l'homme, de ses attaches, de ses fragilités, renoncer aux fausses béquilles avec la nécessité d'une maturité neuve, d'un dépassement des infantilismes, des intellectualismes aussi qui en font partie: Grande et rude tâche qui est devant nous.
Les hommes doivent eux-mêmes prendre leur devenir en main, ne pouvant plus s'en remettre aux Dieux. Le dialogue avec les archétypes a radicalement changé et doit encore changer davantage. Dieu n'est sans doute pas Si mort que le prétendent certains mais il s'est retiré, il s'est transformé et il nous adjure plus que jamais: " Aide toi et le Ciel t'aidera ". " Assure " dit un jeune d'aujourd'hui à son copain! L'homme aujourd'hui doit " assurer ", s'assumer dans ce sens, en élargissant son champ de liberté et de responsabilité, en renonçant à une dérive métaphysique et religieuse trop aisée, passive et paresseuse. Dans la déliquescence contemporaine, l'homme doit se ressourcer au tréfonds de lui-même.
Livre de clinicien et d'historien de la culture, il fallait cette double compétence pour aborder l'objet double qu'est le cancer : maladie clinique et miroir d'une culture en crise, d'une exceptionnelle gravité.
Que faut-il faire pour la sauver cette civilisation ? Est-elle sauvable ?
Si elle doit l'être ce sera grâce à une prise de conscience d'elle-même, de ses travers, de ses faiblesses, de ses dangers accumulés.
Seule cette prise de conscience pourra provoquer le sursaut de reprise en main et de conjuration du sort.
L'ouvrage de Bernard HERZOG est une marche importante de cet escalier qui sera long, mais qu'il faut gravir.
Sans son caractère facilement mais créativement ombrageux et sourcilleux, jamais l'auteur n'aurait eu l'audace et l'énergie de s'attaquer aux murailles bétonnées qui interdisaient l'accès d'un des plus grands, des plus essentiels maux de l'humanité.
Parfois, en apportant ces matériaux énormes, il a, semble-t-il, manqué de précautions, de prudence. Mais l'essentiel n'était-il pas de les apporter, malgré les difficultés de toute casuistique en la matière?
Le cancer nous apparaît comme un délire, un délire du corps et un délire dans le corps. Pour comprendre un délire il faut d'abord y plonger, se laisser porter par son courant et ses flux contradictoires pour, petit à petit, ramener l'être malade vers des rives stables et l'amener à une inscription de ses dynamismes vitaux dans le cadre du bon sens vital.
Rien d'étonnant à ce que nous voyant faire et nous montrant faisant, on nous accuse parfois d'être saisi aussi par une singulière danse de Saint-Guy.
Ainsi, le cancer serait-il, aussi, l'exposant de la débilité des hommes, de leur évolution retardée, des insuffisances actuelles du mental, du manque, du retard de conscience?
Devant cette montagne d'angoisse et de souffrance qu'est le cancer, ramassons notre pensée, notre espérance.
En tout cas un grand pas a été fait pour relever le défi que le corps malade adresse à l'esprit, pour poser des problèmes, en résoudre certains; un pas tel qu'aucun savant, aucun chercheur, aucun médecin ne pourra faire dorénavant comme s'il n'avait pas été accompli.
Ayant à l'adresse de cet ouvrage des sentiments et des soins grands-paternels, il ne me reste qu'à lui souhaiter bon vent, sûr que nous sommes qu'il contribuera à porter au loin la bonne parole et à reconcilier l'homme avec lui-même, c'est-à-dire à éviter une des causes majeures de certains cancers : la discorde avec l'anthropos qu'homme il est et qu'il doit " nolens volens " incarner.
Roland CAHEN
Fondateur et ancien Président
de la société de Psychologie Analytique