La maladie a toujours accompagné la destinée humaine. Le premier réflexe des hommes blessés a été d’extraire le mal comme un corps étranger.
Dès les civilisations sumériennes, chaldéennes et égyptiennes, la médecine était associée à la magie. Prêtre, sorcier et médecin ne faisaient qu’un. Les Dieux envoyaient la maladie et l’intermédiaire désigné par eux avait un rôle de médiateur.
Le raisonnement de causalité est né en Grèce. Il est à la base de la société française actuelle. A l’époque hellénistique, la jonction des deux courants, religieux sacerdotal et logique pragmatique, était déjà très développée en Inde, comme Georges Dumézil l’a montré. La chirurgie, l’obstétrique et l’orthopédie y étaient couramment pratiquées. La médecine sacerdotale donnait dans les temples d’Asclépios une place essentielle au rêve. On venait passer la nuit dans le temple espérant recueillir une révélation, un message divin. Le rite consistait à aller dormir dans le temple afin d’y subir une incubation des choses de la vie dans un milieu propice. Babyloniens et Assyriens connaissaient déjà ces pratiques. Ils associaient au sanctuaire d’Epidaure les ablutions car les eaux possèdent un rôle purificateur. On retrouve dès cette période la certitude de voir l’Homme se ressourcer par ses rêves, à la condition formelle d’avoir effectué des purifications préalables.
1 Incubare : se coucher
Dans le temple d’Asclépios le dortoir des consultants pouvait avoir deux étages de quatre salles carrées, entourées d’un grand nombre de chambres. Il pouvait atteindre 160 places ; sa capacité était considérable vis-à-vis de nos modestes salles de consultations d’onirologie. Un théâtre et un gymnase complétaient l’établissement thermal, car les exercices du corps avaient aussi leur importance, ce que nous avons trop tendance à oublier. Sous l’influence romaine les Thermes ont connu un essor si remarquable qu’il n’est pas de site en France qui ne garde avec des ruines, le souvenir de ces pratiques.
Pergame, Cos, Epidaure, étaient des sites sacrés aux ressources thérapeutiques semblables à celles de nos stations thermales réputées auxquelles on attribuait des vertus surnaturelles. Le clergé avait en ces lieux une charge d’administration et la responsabilité des rituels religieux. Le rôle des bedeaux devait prendre de plus en plus d’importance. Les Zacores ou prêtres sacrés dirigeaient les cures et intervenaient dans l’interprétation des songes. Pausanias nous souligne leur rôle majeur.
Comment avoir des rêves ?
Les pèlerins d’Epidaure devaient se plier à de nombreuses interdictions et purifications. L’abstinence de spiritueux, de fèves et de relations sexuelles était considérée comme indispensable. Les ablutions dans les eaux marines ou thermales étaient fortement conseillées.
- Appolonius de Tyare n’ignorait pas que le vin donne un sommeil agité, plein de troubles, aussi faut-il s’en abstenir pour entende l’oracle.
- Tous les initiés savaient identifier le caractère sacré des lieux à l’importance des songes qu’ils engendraient.
Une préparation morale sévère était indispensable. A l’entrée du temple d’Epidaure une inscription le rappelait. « Il faut être pur quand on pénètre dans un temple, parfumé d’encens. La pureté c’est de n’avoir que des sentiments pieux ». Le soir les Zacores éteignaient les lumières des portiques et lâchaient des serpents jaunes inoffensifs, afin que leur Esprit aide les hommes à se mettre en relation avec le dieu Asclépios. Chacun pouvait avoir une communication directe et personnalisée avec le dieu des lieux. 2
Un homme rêvait d’être guéri et sa guérison suivait dès son réveil. On retrouve ces faits en Indonésie par exemple chez les populations primitives de navigateurs. Un homme voit en songe la direction où se rendre et le jour suivant il trouve l’île propice. Un autre, rêve d’être capable de construire un bateau et devient, en effet, un charpentier compétent, capable de réaliser ces esquifs complexes où vit une famille entière. Une femme affligée d’un phlegmon du sein rêve d’être tétée par un mouton et se trouve guérie par cataplasme d’armoglosse, c’est-à-dire de langue d’agneau. Nous avons observé dans les campagnes de France des cas de cancers traités par des cataplasmes de poireaux ou d’escalopes de veau. L’évolution des tumeurs n’en avait pas été ralentie pour autant. Les deux observations que nous avons en mémoire concernaient des infirmières de formation classique. La pensée magique n’est donc pas éteinte en Occident. Hélas, elle se greffe sur un fond matérialiste et l’absence de toute vie intérieure ce qui explique qu’elle ne soit pas opérative a contrario des populations qualifiées à tort de primitives. A Bali la purification au temple précède celle de l’encens avant la rencontre du dukun . Un certain Chinatas de Thèbes couvert de parasites rêve que le dieu du temple d’Epidaure le déshabille et le débarrasse de sa vermine avec un balai. Il se réveille délivré de ses poux ! Parfois Asclépios prescrit le jeûne, l’exercice, l’absorption de certains aliments ou en proscrit d’autres. On retrouve ces faits à Java ou aux Célèbes auprès des dukuns contemporains.
Nom indonésien signifiant chaman
Notre esprit cartésien est désappointé par les interprétations primaires ou les remèdes si courants qu’on en retrouve trace dans les faits cliniques, souvent à l’occasion d’échecs cuisants il faut l’avouer, car les dérives dans ces domaines sont courantes. Cependant, nous avons pu vérifier depuis plus de douze années, le bien fondé de ces méthodes antiques et toujours actuelles. Elles exigent un long travail d’intériorité et une rigueur constante. Nous avons relaté dans plusieurs ouvrages précédents les matériaux oniriques issus de plusieurs psychanalyses de cancéreux.
Une première approche théorique a été esquissée dans l’Imaginaire Cancéreux paru en 1987.
Le travail fécond d’une femme porteuse d’une tumeur mammaire a été rapporté dans
l’Or des cendres
, avec dix années de recul. La réflexion théorique sur l’inversion du couple parental et la méthode analytique est développée dans l’ouvrage qui lui fait suite : L’Oiseleur et le cancer de l’Amazone.
Nous savions depuis plusieurs années que le travail sur les rêves était fécond pour les conflits psychoaffectifs ou les somatisations courantes. Dans cet ouvrage nous voulons montrer le bénéfice d’un travail d’intériorité effectué avec un jeune homme, venu nous consulter après une irradiation et une chimiothérapie qu’un énorme lymphome cervical avait rendues indispensables. Il ne substitue pas à ces thérapeutiques mais il peut s’avérer être un complément essentiel dans la prévention des rechutes, s’il parvient à extraire de la psyché les racines profondes du conflit, notamment son détonateur. Venu nous consulter en période fébrile, François connaissait l’anxiété de ceux qui ont la mort aux trousses et dont l’état général est à peine satisfaisant. En moins d’une année, nous avons pu décrypter et dénouer les principaux noeuds du problème. Leur grande valeur est due à la richesse créatrice de l’inconscient.
Nous suivons très schématiquement les trente entretiens analytiques, (soit une trentaine d’heures) afin de donner au lecteur une idée pratique de l’itinéraire.
Extrait de :
- Cancer et Sida à la lumière de la psychanalyse –Bernard Herzog. Editions Lucien
Bernard HERZOG