Le dernier ouvrage de Gaston Bachelard avait pour titre Le Droit de rêver et sa dernière leçon en Sorbonne s’adressant aux philosophes : « Vivez de la poésie, vous y apprendrez plus sur la vie que dans les manuels de philosophie ». Le Pr Bernard Herzog nous propose de réfléchir sur les images oniriques, notre poésie intérieure.
C’est grâce aux images oniriques que nous pouvons avoir accès, au moins partiellement, aux mystères du corps humain
Permettez-moi de vous proposer quelques clés pour débuter. Elles vous éviteront d’être rapidement noyé, ce qui arrive parfois à la plupart des patients, submergés par des flux d’images oniriques qu’ils ne savent ni mémoriser ni utiliser. Un ou deux entretiens suffisent à induire un début de travail intérieur. Cette situation ressemble à un tonneau mis « en perce »…le jet est puissant, aussi faut-il prendre des précautions. Dans d’autres cas, la sécheresse est longue avant de trouver la source profonde. Comme les jeunes psychiatres ne sont plus informés, ni formés d’ailleurs, ils prennent ces situations pour des délires et détruisent souvent l’évolution intérieure potentielle du sujet par les agents chimiques, parce qu’on ne les a pas fait profiter eux-mêmes de cette maïeutique.
L’être humain est yin et yang, Adam et Eve
Quelles sont les différences entre les images et les idées ?
L’être humain est fondamentalement double, constitué de deux parties indissociables : le yin et le yang, le masculin et le féminin pour les Orientaux, Adam et Eve en Occident.
Les dessins spontanés des enfants nous enseignent une riche sémantique. Ils nous montrent souvent l’image d’un cavalier sur un cheval. Le cavalier représente l’esprit, du moins le champ de conscience, et le cheval, le corps.
Au sens d’un ensemble de signaux projetés, organisés, visuels, ayant, comme les ensembles de mots, des référents profonds : un système de symboles modelant le sujet et ses modalités d’expression en rapport avec son essence.
L’homme est le fruit conscient d’une dualité antinomique : un esprit incarné dans un corps
L’esprit fonctionne au moyen d’idées, d’abstractions, le corps utilise des sons et des images.
Un cheval ne peut s’exprimer verbalement, excepté dans les rêves. Aussi, si besoin est, se met-il à hennir et à ruer. C’est sa façon de s’exprimer.
L’Occidental vit coupé de ses racines instinctuelles
Un bébé a envie de roter après la tétée. Parfois nous sommes saisis par une crise de vertige ou de panique. « Cela bloque »…Tel est le langage du cheval parvenu à notre conscient, lequel est dans la position d’un cocher mené par ces deux natures opposées en apparence mais complémentaires et indissociables.
Malheureusement, l’éducation et la scolarisation dans notre civilisation occidentale nous font, en général, ignorer le cheval. Il est lui-même constitué (le corps humain) de quelque 2002 familles de cellules, chacune d’elles étant semblable à une galaxie composée de myriades de bactéries, de virus et de champignons vivant dans une unité symbiotique.
L’Occidental vit coupé de ses racines instinctuelles. La majorité des sujets ne vivent pas réellement dans leur corps ou le rejettent. La situation n’est pas sans analogie avec celle de certains administrateurs offusqués de voir manifester le bas peuple de plus en plus négligé ou rejeté.
Ils oublient trop que celui-ci les nourrit obligatoirement, parfois avec excès…
Malheureusement, ils ont, dès l’enfance, été abreuvés du seul lait scolaire et n’ont aucun sens des réalités humaines.
Les images du corps sont « mauvaises »
Toute la civilisation occidentale tend à apprendre, dès la tendre enfance, à se « couper du corps ». Les images du corps sont « mauvaises », malpropres ou malséantes… Elles peuvent être issues d’une seule des 200 familles, par exemple les gonades, si elles sont délaissées, seront à l’origine de rêves érotiques, lascifs…
Les bruits corporels sont interdits. Tout ce qui vient du corps est suspect d’intentions malsaines …Cette situation ressemble à une dictature, aussi il ne faut pas nous étonner du développement abusif des diverses administrations ni de l’apparition de germes de nouveaux goulags.
Courteline et d’autres les ont dénoncés sans succès ; bien au contraire, leur développement n’a pas cessé depuis.
Cette tyrannie se cristallise dans les moeurs jusqu’au jour où le cheval se couche au milieu de la rue.
Alors il n’y a plus moyen d’avancer ! C’est à ce moment que le sujet confronté au conflit devrait se poser des questions.
Il est courroucé, intrigué et révolté d’habiter un corps de chair, parfois de souffrance, qui lui semble être étranger. Le moi du sujet est alors semblable à un roitelet trop nanti de nombreuses structures bureaucratiques, il s’offusque des conflits sociaux, des grèves, voire des divergences d’opinion. Les différents ministères de l’Economie sont parfois étrangers ou hostiles les uns envers les autres et font le lit des états dépressifs, avant les explosions anarchiques ou les hémorragies énergétiques. Ces faits ont été répertoriés en sociologie par Pierre Bourdieu dans ses ouvrages sans analyser l’origine du phénomène.
Selon Pierre Solié, deux langues leur correspondent : le langage du masculin
2 et celui du féminin 3. Elles s’ignorent réciproquement et se font inlassablement la guerre ou l’amour selon les lois immuables du tao.
2 Le logo spermaticos
3 Le logo hystericos
Nous ne sommes pas des esprits désincarnés car nous sommes obligatoirement liés à notre corps, à nos humeurs
Voici l’histoire d’une personne hystérique en grande démonstration émotionnelle : dès son enfance, sa vie a été bloquée par l’absence de communication entre ses parents.
Elle s’exprime à sa façon – elle ressent, dans sa gorge, une « boule » qui monte et qui descend… Alors elle devient rouge et ne peut plus respirer. Ces images du corps laissent un apollinien de glace ou suscitent son courroux voire son mépris. Il est lui-même en guerre contre son animalité depuis que son Dieu solaire a remplacé le culte de l’ophidien terrestre. Je m’explique : la raison a détrôné l’intuition lorsque le culte d’Apollon a évincé les vestales des temples antiques notamment les pythies.
Un hiatus sépare le cheval du cavalier. L’expression imagée, retrouvée dans l’activité onirique, devient, grâce aux mots, un corps autonome : un imaginaire abstrait !
Cela revient à opposer une voie sèche et une voie humide d’accès à la réalité.
La voie sèche est celle que je suis en train d’emprunter. Je communique avec vous par des phrases et des mots, par un raisonnement. A partir de données, on édifie des équations. On fait de la comptabilité, on écrit des livres, on crée des machines. L’apollinien règne.
La voie humide prend en compte le sentiment, la vie émotive et affective. Nous ne sommes pas des esprits désincarnés car nous sommes obligatoirement liés à notre corps, à nos humeurs. Si le corps est bafoué, méprisé, le champ de conscience est sans cesse assailli par les émotions et cela constitue un excès d’humide. Cette voie n’est pas spécifiquement féminine car chacun possède, à des niveaux différents, ces deux possibilités exprimées par le mythe du char de Cybèle. La métaphore entre la sève brute et la sève élaborée est utile à cet endroit.
La sève brute monte des racines souterraines de l’arbre. Elle résulte de l’assimilation par la plante de l’eau de pluie et des sels minéraux de la terre. La sève brute monte dans des petits canaux spéciaux vers la cime de l’arbre. Elle va jusque dans les feuilles allant à l’inverse de la pesanteur terrestre par un mécanisme encore mystérieux.
Libéro-ligneux
Le soleil constitue la source de toute vie végétale et animale en raison de son émission permanente d’énergie radiante qui transforme la sève brute. La chlorophylle fixe l’énergie solaire véhiculée par les photons en assemblages savants d’atomes de carbone, d’oxygène et d’hydrogène. Cela constitue les sucres élémentaires, puis leur association édifie de la cellulose.
Ainsi les plantes se créent et se développent grâce à une conjonction de l’humide et du sec. Il en est de même pour l’être humain au plan symbolique. La terre et l’eau sont à l’origine de la sève brute, c’est le rôle de Gaïa, la grande déesse mère. Le soleil et l’air symbolisé par Dieu, Yahvé, Allah ou le Père la transforment en sève élaborée.
Elle va nourrir tout l’arbre en redescendant jusqu’aux racines par d’autres canaux. Après la chaîne minérale, les maillons végétaux et animaux constituent la pyramide sur laquelle se tient l’Homme en fin de toute création.
Les énergies du yin viennent de la Terre Mère, les énergies du yang viennent du soleil et de l’aérien
Les énergies du yin viennent de la Terre Mère comme notre corps est issu de notre mère.
Notre vie affective résulte de l’assimilation foetale puis infanto juvénile des relations que nous avons vécues et mémorisées auprès de nos parents, de notre famille, de notre mère tout particulièrement.
Les énergies du yang viennent du soleil et de l’aérien, l’homologue d’un dieu masculin. Les prises de conscience progressives des contenus imagés de notre vie intérieure ou des évènements vécus au contact du monde extérieur constituent une sève élaborée qui va nourrir notre arbre intérieur et assurer notre développement psychique.
Malheureusement, notre civilisation dite « des Lumières » n’utilise guère la voie des rêves ni leur solarisation, c’est-à-dire la prise de conscience de leur contenu hermétique, ce qui entraîne un excès de sécheresse (ratio) mais aussi une énorme rétention d’humide à notre insu. Elle risque d’entraîner la mort du corps ou de s’exprimer par des fractures, l’irruption d’une maladie quelconque ou d’une déprime : la digue des interdits s’effondre ou se fissure.
L’homme a une vie nocturne aussi importante que son existence diurne
Qu’est-ce que le langage symbolique ?
Les rêves auxquels on ne prête guère attention constituent pour une part des messages issus du corps. L’homme a une vie nocturne aussi importante que son existence diurne.
Les rêves sont constitués par des suites d’images auxquelles le mental n’a pas un accès direct.
On peut avoir des raisonnements syndicalistes, politiques, économiques ou autres, cela ne modifiera pas fondamentalement l’imagerie onirique. Ce n’est que si l’on effectue un forage que l’on parvient aux nappes phréatiques.
L’eau y est plus propre qu’en surface, du moins l’était avant la pollution qui risque de mettre notre civilisation et notre existence en péril. Il en est exactement de même au niveau de notre vie psychique : l’Occident vit sur un imaginaire explosif miné à son insu… en raison d’un conflit entre les deux voies par excès de sécheresse intellectuelle.
Le rêve constitue un document personnel infiniment moins frelaté que ne le sont toutes les élucubrations mentales
Les idées ne conduisent nulle part excepté à imaginer puis à réaliser des goulags, des camps de concentration voire des conflits en tout genre, tandis que cette sève qui monte du corps permet d’informer le capitaine de ce qui se passe en- dessous du pont, dans la quille de son navire.
Malheureusement, le message semble hermétique, codé au champ de conscience. Il ne peut le recevoir sans subir au préalable une initiation. La communication verbale est tellement devenue majoritaire qu’elle a écrasé, effacé cet antique savoir que seuls quelques initiés possèdent encore.
On peut effectuer une analogie entre l’ombre et la lumière, le sujet éveillé et l’hominien végétatif, un irresponsable ignorant de son état. La plupart des sujets demeurent semblables à des ilotes. Ils se reproduisent, mangent et disparaissent. Le cycle recommence toujours semblable à lui-même sans élévation de la conscience. Des anneaux et des chaînes retiennent les hommes prisonniers dans la caverne comme Platon l’a décrit, quatre siècles avant l’ère chrétienne : ils demeurent dans l’ombre.
Savoir utiliser les précieux conseils de ses rêves
On pourrait dire que nous avons tous un gardien dans la quille de notre navire. Il assume parfaitement son travail et nous envoie des messages : c’est un souffleur. Mais, là-haut, le capitaine est trop obtus ou trop affairé pour les recevoir, aussi demeurera-t-il infantile ou névrosé tant qu’il n’en prendra pas connaissance ?
Annie s’étonnait beaucoup : « j’ai fait des dizaines de rêves où je recevais des liasses de chèques. Lorsque je me rendais à la banque pour les toucher en espèces, elles étaient toutes fermées ! J’arrivais après l’heure ou avant l’heure d’ouverture. Il n’y avait plus de place pour moi, sinon c’était la grève. Bref, jamais je ne parvenais à toucher mes chèques ! »
Le souffleur gardien ressemble à un autre moi-même caché dans l’opacité de nos organes, il est symbolisé au cours du travail d’intériorité effectué sur les rêves par le serpent. Il représente la sagesse chtonienne dans la civilisation chinoise, ce qui nous vient de notre corps animal.
Les chèques représentent un argent potentiel, une monnaie d’échange qui permet d’acquérir des victuailles ou de payer l’essence de sa voiture, bref, de l’énergie potentielle.
Les conseils ou ces mises en garde de l’inconscient restaient lettre morte pour Annie. Ils apportaient sans cesse de l’énergie au conscient mais si le sujet est trop bête, trop aveuglé par ses instincts, ils resteront vains !
Annie était alors uniquement dominée par ses pulsions, notamment génitales. Bien intégrée à la société de consommation, elle songeait essentiellement à jouir de la vie et surtout à « se trouver un homme », à se faire assumer.
C’est pourquoi elle ne pouvait utiliser les précieux conseils de ses rêves. L’énergie psychique qu’ils renferment reste une monnaie étrangère dont elle ne peut se servir. Son arbre intérieur reste rachitique, avorté, tant que la sève ne sera pas élaborée par le champ de conscience.
Un être peu intelligent ou trop animal ne peut effectuer le chemin intérieur. Il y aura peu d’élus car la sélection en ce domaine est très rigoureuse.
Le travail sur les images oniriques permet de croître, de s’accroître, et de faire pousser des branches nouvelles
Vous vous souvenez des propos du Christ : « Croissez et multipliez-vous ». Malheureusement, la seule intégration de ses conseils est restée uniquement matérielle : on a fait du « lapinisme » ! Six milliards d’individus vivent actuellement sur terre : c’est trop pour la Nature, lorsque les individus pires que les animaux ne respectent ni l’environnement, ni eux-mêmes, ni leurs semblables …L’interprétation terre à terre par des êtres demeurés infantilement liés à Gaïa la Déesse Mère sans solarisation donne une intégration aberrante et désastreuse pour l’avenir de l’humanité, de notre planète. Elle rend sectaire.
On a mal compris ou, plus exactement, on n’a intégré qu’au niveau inférieur matérialiste ce qui constitue le premier plan du développement du sujet
Il reste alors sous le règne du Serpent, d’Iblis ou de Lucifer, c’est-à-dire le versant négatif, dans l’ombre. Si les bergers n’y prennent garde, ils ne pourront qu’égarer leurs troupeaux. En fait, il faut « croître et se multiplier » en soi par un processus d’intégration des images et des messages de « l’au-delà ». Celui-ci possède une connaissance infiniment supérieure à la nôtre.
L’inconscient a non seulement accès à notre histoire passée, mais aussi à ce que nous avons dans notre sac à dos en venant sur Terre : une étincelle divine ou un petit soleil. Le rêve est donc le Ve de Ra, le voeu du corps énergie qui nous anime. Point n’est besoin de prendre du haschisch, de l’ayahuesca ou des drogues hallucinogènes pour prendre conscience de l’Ombre d’autrui, il est simplement nécessaire de devenir plus lucide, plus structuré, en un mot de « croître ».
Les rêves ne mentent jamais !
Ils sont assez souvent prémonitoires
L’inconscient nous met en garde sur le chemin à prendre à l’avenir, sur quelqu’un que l’on n’a pas su analyser, dont on ne s’est pas méfié ou que l’on a mésestimé !
« Il va vous jouer un sale tour, il va vous conduire dans une situation sans issue », vous dit éventuellement le rêve. L’inconscient peut aussi conduire à une vie spirituelle authentique, c’est-à-dire à une connaissance de ce qui nous transcende, au besoin en organisant à notre intention des épreuves initiatiques plus ou moins douloureuses. Nous sommes toujours libres de les accepter ou de les refuser. Cependant, un cheval qui recule sur l’obstacle est une rosse dont on ne peut guère attendre de services !
Celui qui préfère demeurer ignorant n’évoluera pas et n’aura que ce qu’il mérite.
Plus les épreuves seront difficiles et réussies, plus grandes seront les satisfactions et les récompenses !
Bernard HERZOG