Je souris quand je vois certains frapper des mains et applaudir en disant : bravo la "Science", bravo pour sa découverte d'une nouveauté merveilleuse.
Ne soyons pas simplistes!
J'applaudis moi aussi si cela peut permettre àl 'espèce humaine, à l'homme, d'êtr emieux lui-même. Mais cela me révoltequand je perçois que cela va l'induire dans un "esclavagisme" plus important qu'on ne puisse l'imaginer. Nous avons tous applaudi lorsque, dans nos cours d'histoire, on nous a enseigné que,suite à la Révolution, l'homme était libre et qu'il naissait libre. Cela ne faisait d'ailleurs que reprendre un thème religieux fort ancien. Mais on continuait quand même le commerce d'une population noire, entre autres. Et les négriers ne s'en plaignaient pas. Eh bien, comme le montre brillamment Jeremy Rifkin2 dans son étude du processus à l'oeuvre aux USA depuis vingt ans, nous nous retrouvons dans une semblable position : nous allons devoir nous battre contre des négriers de nouvelle espèce.
Lorsque la maladie de Creutzfeldt-Jacob, dite de la "vache folle", a été rendue publique, une large population bovine était déjà touchée, mais on a évité de noter que tout ce qui était nourri aux mêmes produits, c'est-à-dire la population porcine, ovine, les volailles et même les poissons de culture n'étaient pas indemnes. Certes, rapidement les autorités politiques et sanitaires ont imposé des réglementations, précisant qu'il fallait éviter de manger tel ou tel morceau, tels ou tels abats. Mais réfléchissons un peu. Une vache contaminée, elle l'est aussi bien, même si c'est à un degré autre, dans la cervelle que dans son jarret ou que dans son lait. Le lait est une protéine. Mais si nos experts l'avaient annoncé brutalement toute l'économie agricole et le commerce agro-alimentaire se seraient effondrés. Cela aurait provoqué une révolte civile. Alors, on préfère voir cette maladie se développer et se muter sur quelques vingt voire quarante ans pour ne pas effrayer la population. Eh bien, nous sommes déjà en pleine révolte génétique sans trop nous en apercevoir. Nos champs sont en train d'être mutés. On aura des herbes mutées, des fleurs mutées, des fleurs hybrides. Déjà les paysans ne peuvent pas ensemencer ce qu'ils veulent car les semences hybrides interdisent le recopiage et le réensemencement. Et ces produits peuvent être nocifs car ils sont "non naturels", c'est-à-dire non en harmonie avec l'ensemble de ce qui constitue la vie. On n'a pas pris la peine et le temps de s'en préoccuper. (Il faudrait aussi parler du respect de la biodiversité mais également du respect des pays du tiers-monde largement détenteurs de ce patrimoine don tl'Occident s'empare par brevetage interposé.)
Côtoyant de près des responsables du domaine de la santé, j'entends dans les couloirs des propos peu rassurantssur les cancers, les sidas et autres maladies auto-immunes qui se développent et prennent des formes inattendues. Certes, nous pouvons en prendre notre parti et crever la bouche pleine. Mais n'est-il pas plus sage et réaliste d'attirer vertement l'attention sur ce qui est en train de se jouer pour que cela ne se joue pas dans notre dos ? A ce régime qu'en sera-t-il des dépenses de santé et de leur prise en charge ? Vous vous plaignez de verser trop d'écus à la Sécurité sociale et en même temps vous craignez qu'elle ne disparaisse. Elle peut effectivement cesser, un jour ou l'autre, pour cause de faillite. Eh bien, c'est tout un processus de vie en société qui est en débâcle et qu ipeut nous mener, les uns et les autres, à la faillite de nous-mêmes aussi. La solution n'est pas de faire des manifestations pour ce qui est en ruine.
Le "transgénique" généralisé est donc une farce, qui risque d'être pour nous et nos successeurs une mauvaise farce. Il n'a jamais été demandé parles consommateurs, il lui est imposé. En même temps qu'une approche technique, c'est une approche anthropologique et économique que nous devons conduire. Même si on ne nous le dit guère, n'oublions pas que les enjeux sont aussi économiques, politiques, planétaires, bien sûr ; les enjeux sont financiers, sanitaires, etc. Par nos manières de vivre, c'est nous, collectivement, qui créons nos problèmes. Alors c'est à nous de les résoudre. Prenons un autre exemple. Dans la presse, on commence à avoir des échos d'un nouveau problème, celui de la résistance aux antibiotiques4. Dans nombre d'élevages forcés on utilise les antibiotiques, on inclut dans tel maïs un gène de résistance à tel antibiotique. A quoi donc jouons-nous ?
Mais, vous-mêmes, dès que vous avez un petit bobo,vous vous précipitez chez votre médecin et, de façon répétitive, vous consommez des antibiotiques. Or les antibiotiques sont faits pour constituer une frappe contre des maux résistants, mais une frappe rapide .Sinon vous devenez inondés d'antibiotiques, votre corps devient hyper-résistant. Ce qui veut dire que vous êtes "mutés" ou mutants. Vous devenez insensiblement des hommes et des femmes génétiquement modifiés et cela peut vous mener sur des chemins inattendus et peu désirables. Oh, ne vous imaginez pas avec trois yeux ou avec quelques bras en plus !
Ce sur quoi je veux attirer l'attention, c'est sur les interéchanges constitutifs de notre vie corporelle, c'est sur les mutations géniques que nous pouvons provoquer en nous, en usant et abusant inconsidérément. Quand nos terres seront inondées d'une nouvelle génération végétale hyper-résistante, nous aurons aussi des bactéries et des virus hyper-résistants à tout traitement. Alors il sera un peu tard pour prier et pour vous réfugier dans les temples si des pans entiers de populations disparaissent. Les historiens parleront de l'épidémie de peste nouvelle. Déjà des cas de nouvelles "pestes" existent et deredoutables ennemis apparaissent puisque nos connaissances actuellesne permettent plus de les combattre. On a beau avoir découvert quelques gènes, quelques centaines de gènes, nous trouverons, chaque jour, de nouvelles parités de gènes, de nouveaux modes de fonctionnement.Nous ne connaissons pratiquement pas leurs répercussions.Plutôt que de passer notre temps à exploiter de façon juteuse quelques bribes de découvertes permettant de modifier les vivants, ne faudrait-il pas investir pour connaître en profondeur le système génétique, ses modes d'action et d'intercommunication ? L'optique actuellement dominante nous transforme en apprentis sorciers et, par ce chemin, nous allons apprendre à être des sorciers apprentis. Gare aux dégâts si nous nous obstinons à vivre idiots au lieu de poser des choix de manière de vivre.
Pr Bernard HERZOG