Le numéro 134 des Cahiers jungiens de la psychanalyse (septembre 2011) est consacré au livre rouge, texte écrit il y a un siècle et publié 50 ans après le décès de l’auteur.
Au début de ce livre C. G. Jung dit qu’il a perdu son âme et qu’il doit aller à sa recherche. Il y avait bon nombre de pasteurs dans sa famille (9) et son père était pasteur, il avait perdu la foi. En bon fils Carl Gustave s’efforce de la lui faire retrouver.
Régression oblige. C. G. Jung a l’intention de se défaire de son éducation et de sa forme de pensée, tel est le point de départ de ce fameux livre rouge. Il faut noter cependant qu’il ne quitte ni Kant, ni Goethe ni Schopenhauer ni surtout Nietzche. Il est vrai que son séjour africain de 6 mois en 1925 l’a considérablement interrogé jusqu’à lui guérir une profonde crise d’identité psychique.
Dans le livre Ma vie, il écrit : «Mes forces psychiques libérées plongeaient à nouveau, avec félicité, dans l’immensité du monde originel. » Il a vécu deux mois parmi les membres de deux tribus au mont Elgon. Cette confrontation avec une civilisation différente de celle qu’il a connue, l’amène à s’interroger.
A son retour en Suisse deux à trois mois plus tard Richard Wilhelm lui fait rencontrer - Le secret de la fleur d’or et La philosophie de Lao Tseu. Jung a l’intention d’atteindre une autre forme de pensée mais il n’y parvient pas. Il reste emberlificoté dans des représentations bibliques traditionnelles, fasciné qu’il est par la mythologie et les figures du nouveau testament : Salomé, Jean-Paul, Jean-Baptiste, Marie-Madeleine, les personnages grecs et évidemment essentiellement le Christ.
Il peint des mandalas, fasciné par les images peintes ou fantasmatiques vécues. En janvier 1916 il est perturbé par une série de phénomènes parapsychologiques qui se produisent dans sa demeure. Il en résultera le texte célèbre - Les Sept sermons aux morts -rédigé dans son cahier, et à la même époque (16 janvier 1916) il fit le croquis d’un premier mandala. Par la suite il en effectua 27, entre janvier 1916 et septembre 1917, au cours de son service militaire au château d’Oex où il était en tant que commandant des internés de guerre anglais. Le conflit a déclenché chez lui de vives réactions car il est très troublé par cette période chaotique qui lui évoque l’éclatement, l’enfer, le morcellement, une tragédie majeure.
De tout cela il résulte de grandes interrogations des ruminations spirituelles en relation avec les résonnances collectives de la guerre de 14/18. C. G Jung fait un effort énorme de cogitation sur la transcendance, l’image de Dieu, du soi, sans faire l’expérience « hypostase »
Son interrogation sur ses vieux jours concerne la relation entre l’homme et la femme, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il ne l’a pas réussie. Son grave problème d’attitude, envers le genre féminin et le couple, son infidélité et ses frasques habituelles sont à prendre en compte.
Je me souviens qu’au séminaire de psychanalyse de R. Cahen, l’apparition du livre de Sabina Spielrein, qui dévoilait ce problème, avait été évoqué. J’interrogeais R. Cahen pour lui demander, comme il l’avait connu, ce qu’il en était. Il répondit : « Mon cher quand je l’ai connu il avait six maîtresses, toutes référencées. Ce qui m’amena à suspecter le repos du guerrier pour le dimanche, mais non « il rencontrait Jolande Jacobi deux fois par semaine ». Autant dire qu’il ignorait totalement la dimension supérieure du couple. Sans réflexion sur son narcissisme, son ambition sans borne, bref une autocritique majeure qui vire en diatribe contre lui-même :
« Quel est le bon chemin ? Dans l’union avec le soi, nous atteignons le Dieu. ». Telle est son hypothèse centrale. (Livre rouge p. 338)
Cela a entrainé des dérives, ainsi au premier congrès mondial de psychanalyse à Vienne, un ami psychiatre, psychanalyste de qualité donna un texte d’une conférence sur les mandalas en plaçant le Moi au centre. Je le pris à part après la séance en lui disant : « Le Moi ne pouvait occuper la place centrale qui doit rester vide, c’est la place du créateur ».
Les confusions sont nombreuses dans le livre. C. G. Jung suppose que le Christ est une image du Soi. Il projette le Soi sur le Christ. Par contre, il est très conscient de l’importance de l’expérience que doit vivre l’inconscient à travers le vécu du corps. Il en fait l’objet principal de l’alchimie et il le nomme « inconscient somatique ».
« Celui qui ne va pas au bout du principium individuationis ne devient pas un Dieu, car il ne peut supporter d’être unique. » (Annexe C, Livre Rouge, p. 370)
Le Livre rouge est une tentation prométhéenne de synthèse des différentes religions, des différents mythes de la part d’un génie qui se perd dans son immense érudition. Alors que par la simplicité on accède plus aisément à des synthèses. On pourrait dire que le géant erre de bosquet en bosquet. Ces errements sont la conséquence d’un narcissisme et d’une hypertrophie phénoménale de l’ego, mais aussi d’une méconnaissance totale de ce qu’est l’homme uni, le DE-Uno, l’un deux (de deux faire une unité)
Quant à son interrogation sur la vie après celle-ci, elle est amputée du fait qu’il n’a pas eu de contact réel avec les esprits des morts. Il n’a pas vécu l’expérience chamanique.
L’être humain est constitué d’une apparence animale dans laquelle se greffe un esprit. Cette dualité fondamentale exige de lui un respect de l’animal qui réclame son dû. C’est l’élan vers la matière, la consommation, le plaisir. En parallèle, il y a un élan vers « l’au-delà », la transcendance qui est le fait de l’esprit. Le passage obligatoire pour effectuer sa croissance dans la transcendance, c’est de réussir un couple uni alors que la majorité des sujets se perd dans la fornication, la consommation animale sans édification réelle qui résulte d’une excentration du moi dans le « nous » et un échange à tous les niveaux.
La lecture du livre rouge pour un émule de C. G. Jung laisse des sensations désagréables à travers les divagations intellectuelles brillantes qui démontrent l’enlisement du maître, son narcissisme, ce qui lui a valu le diagnostic stupide de psychose, une aberration d’auteurs mineurs, mais aussi les servilismes répétitifs voir narcissiques de certains émules de ce que l’on peut appeler le maître, lequel n’avait pas pris une distance suffisante par rapport à des religions, au faux savoir, à la fausse connaissance. Son expérience tout à fait insuffisante, voire nulle de « l’au-delà », le laisse dans des tentatives désespérées de se débarrasser de sa problématique de l’intérieur. Il emprisonne, ainsi, ses émules, je serais tenté de dire « nacht und nebel » en reflet de cette époque noire de l’humanité.
Il n’y a pas de lâcher prise, pas d’expérience sensible adéquate, pas de confrontation réelle avec les sages et les chamans, il faut le dire ; ils n’existent guère en Occident ! Jung s’est laissé attirer par les textes de Lao Tseu qui ne donnent aucune solution aux principales interrogations de l’existence. Il demeure accolé au judéo christianisme sans prendre un temps de réflexion sur ses bases historiques. Ainsi cette lecture est décevante pour ceux qui espéraient d’un grand homme verticalisé de réussir comme les Titans la séparation entre ce monde de la matière et l’au-delà.
« The red book, Liber Novus » Traduction française L’Iconoclaste et La Compagnie du Livre Rouge 2011 Paris