La logique du conscient n’est jamais celle de l’univers intérieur. Il n’est pas rare d’observer dans les rêves un ordonnancement apparemment inverse, du moins sans ordre en début de travail.
Fernand, pour un second entretien, a un rêve caractéristique de son ombre.
Rêve du 06.10.1987
« J’étais avec un noir du genre Sénégalais. Il badigeonnait un grillage avec de l’essence mélangée à l’huile. Le grillage entourait une grande propriété ressemblant à une palmeraie. Nous avions l’intention de la faire brûler. Nous étions à la ferme de mes parents. Je surveillais la porte de la maison pour voir si quelqu’un allait sortir, pendant ce temps le noir mettait le feu, mais il n’en finissait pas. Une personne est sortie de la maison.»
« Le noir représente bien mon ombre et les grillages les interdits. Mais alors, dans le rêve, je suis là comme un voyeur ou comme un guetteur? »
Tous les éléments du rêve représentent des facettes constitutives du rêveur.
Ce dernier ressemble à un capitaine de bateau. Il se croyait seul à bord. Son inconscient va lui démontrer le contraire, le mettre devant cette évidence d’une multiplicité intérieure avec le devoir œcuménique d’adopter les divers aspects de lui-même dont l’ego a souvent horreur.
Le noir représente en effet l’ombre. Elle n’est pas tellement inconnue du rêveur. Il a identifié tous les interdits éducatifs hérités des parents dont il a l’intention de se libérer. Son ombre est active en ce sens qu’elle prépare la mise à feu de ce premier programme dont il faut s’abstraire.
Le Moi du rêveur n’effectuerait pas ce travail sans la poussée de l’ombre. Elle met ainsi à feu une deuxième partie du programme intérieur.
Une troisième personne sort de la demeure : le double.
Les rêves vont souligner à Fernand combien le travail intérieur n’est pas un luxe.
Rêve du 07.12
« Je circule à voiture, droit devant moi, sur une route parfaitement droite. Une voiture de grosse cylindrée toute blanche circule en sens inverse. Elle fonce sur moi, et m’évite au dernier moment. Je me retrouve au café avec un chauffeur de poids lourd pour établir un constat amiable pour cet accident qui n’a pas eu lieu. Nous sommes appuyés au bar. Il me paraît très ennuyé, il est tout pâle. Je le rassure au fond que ce n’est pas grave. »
Fernand est veuf, père de plusieurs adolescents.
« On s’ennuie sur les routes toutes droites. Voilà bien la rigidité comme vous l’aviez dit la dernière fois, il n’y a eu aucune souplesse pour moi dans la vie ! »
Cette fois, la route monte légèrement, tout cela est lié à la terre … à la mère ! Tel est là, le programme hérité, aussi voit-on sur quel genre de relation le couple s’est édifié : le travail mais jamais le plaisir.
Le “sur-moi” est austère. Il est facile de jouer au devin : sa femme vouait un culte fervent à la virginité, à la blancheur, à la javellisation…
Cette programmation est une déviance névrotique fréquente. Elle détermine un contingentement de la vie privée. Tout est terminé par la nécessité de la beauté, de la propreté absolue, bref un rejet et une abrasion de toute la nature animale.
« En effet, avec ma femme, c’était trop ! Elle époussetait sans arrêt, toute la journée. Elle était enquiquinante à la fin, mais assez dévouée, elle tenait beaucoup à l’intérieur, par contre pour l’amour… cela passait au second plan. Elle s’est tuée au travail… »
Le rêveur a une solide nature, elle lui a permis d’échapper au même destin.
Dans notre civilisation, les êtres sont symbolisés souvent par des voitures, du moins leur véhicule corporel. Les grosses cylindrées donnent une idée de la puissance du sujet. Les poids lourds sont en relation avec les gros transports. Ils véhiculent d’énormes masses énergétiques, ce qui signifie une potentialité libidinale majeure, adulte. L’être est capable de “gros transports” amoureux…
Je lui proposais une intégration du rêve ni orthodoxe ni rationnelle, mais l’intuition prévaut toujours.
« Supposons que cet homme représente l’âme masculine de votre épouse. Elle semble venir s’excuser auprès de vous de n’avoir pu vous rendre heureux. C’est un grand message d’amour. Elle ne pouvait mieux faire car elle était coincée par son éducation reçue. Pour elle, la vie n’a pas été drôle non plus, mais c’était une brave et honnête femme. »
Je m’avançais beaucoup, mais la sagesse est de laisser parler la voix du cœur.
« Elle était très mal dans sa peau. Elle a toujours très mal vécu, mais ce n’était pas de sa faute. Sa mère ne l’a pas aimée, son père ne l’a pratiquement jamais regardée…
Sa mère était la plus jeune mère de France. Elle l‘avait eue à l’âge de treize ans ! Elle n’était pas capable de jouer le rôle d’une mère. Aussi, j’ai l’impression en effet, que c’est bien avec elle que je fais ce constat amiable pour un accident qui n’a pas eu lieu. Elle vient s’excuser de ne pas m’avoir rendu la vie très rose… »
Une jeune fille immature ne peut bien remplir son rôle de mère avant d’être adulte. Comme un arbre porte des fruits verts et rabougris, la nature humaine donne des êtres avortés, amputés. Ils ne sont pas coupables, la responsabilité de cette situation incombe aux parents éducateurs et aux instances éthiques qui n’ont pas correctement assumé leurs rôles.