L’imaginaire contemporain résulte des appositions successives des générations qui nous ont précédés depuis plusieurs millénaires. Il véhicule une forme de logiciel présent dans les rêves de nombreuses personnes. C’est pourquoi nous y avons attaché beaucoup d’intérêt.
En ce printemps 2011 Isabelle, une grande et belle femme, qui a eu bien des difficultés avec les hommes, vient me confier un rêve qualifié de curieux. Elle se réveille comme d’un cauchemar dans un champ de cadavres auxquels on a coupé les têtes, isolé les mains, coupé et séparé le thorax des parties inférieures, bassin et abdomen. Quel morcellement ? A-t-elle un tueur dans sa psyché ? On pourrait en douter. Les medias nous apprennent des meurtres semblables avec détails. Par exemple le meurtre récent de Laetitia … depuis vingt ans ce genre de faits divers se répète comme les hécatombes dans les lycées américains.
En parallèle, le succès grandissant des séries cinématographiques consacrées à la criminologie tout cela nécessite une réflexion. Pourquoi un tel engouement pour l’hémoglobine, les violences, les cadavres de plus en plus fréquents sur les écrans télévisés ? Pourquoi ce goût morbide, macabre ? Que cache-t-il ? Ou plutôt quel enseignement doit-on en tirer au plan psychanalytique ?
Isabelle est une universitaire d’une intelligence supérieure. C’est pourquoi son rêve est aussi clair. Elle était désolée de ne pouvoir réussir son couple et enfin commencer à vivre selon ses propos qui soulignent un bon sens évident. Son éducation était l’aboutissement d’un processus sociologique encore très présent à la campagne. Entre les fermes on échange guère, il y a tellement de travail que l’on s’enferme et les enfants pâtissent malgré le système scolaire. De ces lieux d’enfermement, si les parents n’ont pas réussi leur couple, ni vécu dans la joie, pratiquants trop fidèles d’une religion qui les coupe d’une réalité biologique et spirituelle essentielle.
Quel est donc l’imaginaire collectif en ce début de millénaire ? La désertification, la lutte désespérée et désespérante contre les résidus d’animalité où interviennent les transgressions et dérives pathogènes pornographiques entre autres. Isabelle est très noble, très tenace dans son effort, fière à juste titre mais très vulnérable. Je ferais un parallèle avec l’informatique. L’imaginaire collectif c’est l’empreinte, le milieu dans lequel l’être a baigné au contact de ses parents et du milieu social. Cette empreinte n’est pas spécifique à un individu mais il lui appartient de faire effort pour s’en dégager. Certes c’est oh combien difficile ! Comme Jonathan, le goéland, Isabelle est-elle un cygne mutant au milieu d’une population de canards ?
Isabelle fait du théâtre, s’efforce de rester positive malgré toutes les épreuves rencontrées. Un rêve précédent se déroule sous une tente de nuit, elle y est avec son ami. Brusquement inquiète par la venue de son père qui veut étouffer, étrangler une jeune femme blonde. Or les cheveux de la rêveuse sont très foncés. En interprétant à la manière de Pierre Solié, on peut assurer que son double solarisé est étouffé par l’image paternelle. Bref son père semble interdire son développement vers la lumière de la connaissance par son absence d’évolution spirituelle.
Dans la réalité ce vieux paysan désire qu’elle lui donne des enfants. Il considère la femme comme un utérus porteur et lui répète depuis plus de douze ans qu’elle doit se soumettre à la vieille conception des trois K : Kinder, (enfant), Küche, (cuisine), Kirche, (l’église). Telle est la définition d’une morale catholique encore très vivace à la campagne… dans les régions de l’ouest.
La mère ne variait pas dans ses propos: « Toutes tes amies sont déjà mariées, elles font des petits et toi, tu es comme une Catherine, tu vas te dessécher ». La voilà donc en conflit avec son milieu. Je songeais en moi-même : mettez cette situation en parallèle avec les arbres dont on a coupé la tête, les branches, dont il ne reste plus qu’un tronc vertical, duquel émergent quelques radicelles, vite coupés chaque hiver. Ils ne portent plus d’ombre et deviennent informes.
L’homme fait subir à la nature l’imaginaire destructeur dans lequel il bassine. Dans notre civilisation actuelle, selon ce schéma, qui illustre bien les images du rêve, l’homme n’a pas à penser, cela ne sert à rien de réfléchir, et pourquoi ils deviennent des esclaves, des ilotes (couper la tête).
Il n’a pas à prendre de plaisir. La culpabilité est un pilier de la pensée collective conditionnant des chiennes de vie, la grisaille, cela coupe le développement du sujet. On lui coupe la tête, on lui coupe le sexe, on l’émascule.
Tous les dérives pornographiques et autres en résultent. On ne lui permet pas de s’agripper à la vie, à se saisir d’un quelconque devenir en lui coupant les mains.
Tel est le premier logiciel opérant chez Isabelle, l’inconscient le lui souligne de façon brûlante. Comme Ulysse dans son voyage terrestre, elle a fait naufrage et a subi l’irrespect. La voici exténuée, parvenue sur une terre d’accueil où elle trouve un homme, l’homologue de Nausicaa, il rêve de la protéger, de l’épauler. Fera-t-elle comme Ulysse l’erreur de repartir pour connaître à nouveau l’épreuve du désert ? La mise en garde est sérieuse.
Le morcellement sanglant souligné par le rêve est l’aboutissement de plusieurs siècles, voire un millénaire ou deux d’enseignements religieux, opposant l’homme et la femme, se dressant contre l’union fondamentale qu’elle constitue, luttant contre le cercle magique du Ramayana, réservé aux couples harmonieux, fidèles, prenant plaisir dans la communion. La rêveuse est une victime comme des millions d’autres, de la culpabilité, de la réduction sociologique que nous supportons tous à devoir être des objets de rendement, des objets sexuels ou pire de la viande à canon.
Telle est la photographie inconsciente que révèle la psychanalyse d’une société matérialiste sans repères spirituels conformes. Le lecteur trouvera mille illustrations : l’oiseau mis en cage, les chats castrés, les conséquences innombrables de la culpabilité instituée pour raison de pouvoir sur le peuple par des prêtres de toutes les religions.
# Adam et Eve, ou le Yin et le Yang, l’homme et la femme, en oubliant le cercle magique d’un couple réussi : le 3ème terme ou l’enveloppe invisible protectrice