Le point de vue d’une campagnarde
Vous allez peut-être trouver le sujet un peu farfelu ou un peu flou, dans tous les sens du terme. Car effectivement l’expression qui vous est présentée est fort anodine et peu parlante. Mais c’est tellement inoffensif ou du moins tellement insignifiant que cela va me permettre de vous conter, en ma qualité d’épouse, mes « observations » au travers de ma propre expérience de vie.
Vous me direz que le champ d’observation est peu large par rapport à ce que l’on pourrait en attendre. Mais déjà, au travers de ma petite lorgnette d’épouse, j’ai observé un monde tout à fait particulier. Il m’a permis de retrouver une entente – disons une harmonie – entre mes différentes « racines » : physiques, matérielles, spirituelles et familiales.
Ce champ est bien sûr étroit mais tellement riche que je ne peux et que je n’ai guère eu le temps de m’occuper d’un grand nombre d’observations. Je suis née dans un pays où les champs sont délimités par des haies contrairement à la Beauce où les champs semblent sans limite.
L’avantage dans un pays de bocage comme en Bretagne c’est d’avoir un champ de vision rétréci, limité dans un enclos ! Vous me direz peut-être que j’ai une caboche fort limitée ! Je vous le concède. Je n’ai pas la prétention d’être une lumière. Certes, j’ai seulement la prétention d’avoir découvert ma propre lumière. C’est déjà bien beau. Et je m’en satisfais largement.
Si la vie toute simple, sans évènements particuliers, sans péripéties exceptionnelles, paraît ou peut paraître fort pauvre, elle m’a permis d’observer que le déroulement qu’elle nous propose et que nous subissons est aussi aisé qu’un chemin de randonnée dans la forêt, il comporte aussi bien des joncs que des ronces ou les arbres tombés qu’il faut franchir pour se retrouver et marcher dans les marécages qui nous sont proposés à tout instant.
Cela peut paraître bien absurde d’en parler. C’est parce que c’est tellement absurde que je me suis mise à réfléchir, à méditer, pour pouvoir comprendre un peu mon devenir.
Oh je sais bien que notre religion apostolique nous donne des directives. Mais cela me fut de peu d’utilité pour pouvoir assumer et comprendre. Parce qu’il faut assumer en effet, c’est ainsi qu’on peut comprendre. C’est en subissant qu’on peut arriver à comprendre l’échange et avoir besoin de cet échange, non seulement entre époux mais aussi entre amis, entre voisins.
Vous pouvez remarquer comme moi que nous commençons à découvrir que nous vivons dans un désert. Et encore le désert – saharien ou autre – est moins aride et plus riche que le nôtre !
Qu’observe-t-on dans ce désert ? On remarque les erreurs des autres, les refus, les rejets, tout ce qui est cause de suicide, tout ce qui est à l’origine de la maladie, de notre maladie. On remarque également le pourquoi de cette course effrénée, je dirais éhontée, vers des besoins créés qui n’en sont guère. Tout devient une nécessité, alors que le nécessiteux est lui-même laissé dans une nécessité indispensable au bien des autres.
Ce n’est pas un cours que je vous expose mais ma démarche. Elle m’a appris à reconnaître mon « être » : ce que je suis et ma fragilité. Je vous avouerai donc que je suis plutôt une « existentialiste » qu’une « mystique ».
J’aime être entourée d’innombrables souvenirs. J’adore l’existence et j’ai peur du lendemain. Au travers de ces défauts j’ai compris pourquoi enfant de la terre, je suis restée enfant de la terre.
Née dans une famille rurale de l’Ouest, j’adore vivre dans le milieu rural. Comme les bons ruraux qui se respectent, j’adore avoir les pieds sur un plancher bien dur, respectueux des règles. Je ne fus jamais tentée et je ne le serai jamais de m’évader dans un monde de rêves utopiques et abrasifs. Si j’aime bien parler c’est parce qu’en étant enfant de la terre on a toujours communiqué, échangé. Oh ce fut une course permanente certes, mais où la vie s’échange.
Ce n’est point un désert comme à l’heure actuelle, où tout est devenu désert, où on ne parle plus, les automates ont remplacé les relations humaines pour raison d’économies... Promenez-vous le soir : nul ne s’assied devant sa demeure. Les villages sont devenus déserts, comme des âmes sans vie. Promenez-vous dans les cités : alors vous voyez une marée humaine. Certains admirent, d’autres filent comme des hirondelles se sauvant à tire d’aile,d’autres piétinent en admirant les vitrines des magasins sans rien voir. Ils admirent béatement sans chercher à comprendre ni le pourquoi ni le comment. Ils sont « désertifiés » Ils reçoivent la dose homéopathique d’un susurrement dans lequel ils n’ont rien compris et qu’ils répètent volontiers quand ils ne l’imposent pas aux autres.
Entre nous, nous nous efforçons de réfléchir à notre sens du devenir. Comme disait un certain sieur Luther : « l’homme est fait pour prier et la prière est faite pour l’homme ». Mais la prière c’est quoi ? C’est bien une demande afin de célébrer les joies et les efforts de l’homme, dans la marche de sa propre évolution.
Vous noterez que dans la Bible il est dit que l’homme est fait à l’image de Dieu. J’espère qu’il est plus beau que moi ! Je suis une femme, donc un Homme au sens large. Mais je crois seulement en la vie. Car la vie et pour moi la chose principale, la plus importante, car sans la vie on ne peut rien faire.
Oh je sais que cela peut vous écorner les oreilles. Mais il faut être réaliste, être raisonnable. C’est parce qu’on manque de ce respect de la raison que nous sommes emprisonnés dans ce « désert » de voir croître des espèces de sectes ou autres religiosismes qui défraient tant la chronique et nous menacent au travers de nos enfants.
En tant qu’épouse, je voudrais crier à votre intention pourquoi ne faites vous pas de même? Pourquoi vous laissez-vous désertifier ? Prenez votre vie, votre existence en mains et vous la remplirez de bonheur. Vous y découvrirez alors la raison et le pourquoi de votre présence. En effet la vie est comme une comédie. Chacun joue la sienne, en cet instant je joue la mienne.
Ne cherchez pas à me méprendre sur un thème, ni à me mépriser. Cherchez avec moi à comprendre. Nous avons des « racines ». Ah bien sûr, les racines héréditaires : je suis comme mes parents, enfant de la terre et je serai nourrice bientôt de la terre. Car ma matière servira de nourriture à la terre. C’est le terme final de chacun d’entre nous, terme peu réjouissant pour certains, mais terme réel. Il faut vivre avec. Il faut oser le dire pour oser comprendre. Car si on se voile la face on se cache des réalités. On pourra toujours admirer les cathédrales édifiées par nos pères. Mais il faut savoir admirer sa propre église, que nous construisons chaque jour et à chaque instant.
Nous ne pouvons vivre que si nous acceptons de ne pas renier le domaine sacré, c'est-à-dire d’avoir cette foi en cette flamme de la vie. Car si nous l’avons-nous pouvons admirer la vie, nous pouvons comprendre le pourquoi de l’existence. C’est en couple qu’on peut le découvrir… Nombre de jeunes mariés baissent les bras, ils changent de conjoint, pour rechercher un éphémère bonheur, un art de vivre momentané. On entend souvent : « on ne se comprend pas, nos sexes ne se conviennent pas » . Excusez-moi d’être grossière et un peu rude. Mais c’est cela la vie. C’est ça le problème de la cité d’Ephèse… si la cité des fesses a disparu c’est parce qu’on lui a inoculé le « mal-dit ». Vous pouvez arpenter cette antique cité en Asie. On vous dira comment elle a disparu. Elle fut désertifiée par la décadence de sa propre connaissance.
Nous assistons actuellement au même phénomène. Vous savez fort bien que l’homme, lorsqu’il est réduit à rien, lorsqu’il est assiégé, il retrouve la résistance nécessaire, la force indispensable pour combattre, résister et survivre. Toutes les pages de l’histoire récente de ces guerres pénibles qui ravagèrent l’Europe : comment l’homme a-t-il su résister ? Combien d’hommes ont-ils pu résister et réussi à puiser dans leur besoin de survivre face à des forces supérieures en nombre et en tout ? Vous savez comme moi qu’un ventre affamé est plus fort qu’un ventre plein. Vous savez que si on ne goûte pas aux ennuis de la vie, aux tourments de la vie, on n’apprécie pas, ou du moins on apprécie mal, l’aisance de la vie.
Au travers des tourments de la vie, des aléas et des affres, j’ai pu comprendre que si la vie n’est rien, la vie est riche. Donc je dois m’y mettre et me faire comprendre. Car c’est dans cette vie qu’on retrouve la racine de la dignité, la racine du respect.
En effet, le respect c’est quoi ? Si ce n’est que la paix de la chose, la paix de soi-même et la paix envers les autres. C’est le premier reniement à éviter, la première erreur à éviter. Ainsi on peut échanger, on peut se comprendre et parcourir ensemble le chemin de la vie, le destin pour lequel on est fait. Et on peut jouer la comédie et s’insérer dans un large débat, dans une large communauté dans laquelle nous sommes. Nous pouvons donc nous heurter à des opinions différentes, mais nous pouvons nous tolérer et apprécier l’espoir de l’échange et l’espérance de l’unité, qu’on doit retrouver au travers de soi-même.
La vie est donc une lutte permanente aussi bien en dehors qu’en soi-même. La vie ne consiste pas à subir des agressions permanentes. La vie, c’est pouvoir, en subissant, se mettre dans l’harmonie des évènements. Car si on subit en permanence on finit par s’écrouler. L’homme n’est pas un roc, il est du sable, je dirais même : un grain de sable, pour reprendre les termes bibliques.
A mon avis, il ne faut pas lutter contre l’évènement ; il faut l’accompagner. En l’accompagnant on comprend que nous pouvons grandir dans une harmonie festive, agréable, d’un foyer chaleureux. Cela est très important car on y trouve son équilibre.
Vous comprendrez que je suis plus existentialiste que spirituelle. Oh je n’ai pas fait de grandes études, je ne suis pas sortie des institutions telles que l’ENA. Parce que je serais trop âne et devenue trop étroite dans ma pensée. Je ne suis pas contre le développement des études dites supérieures. Je suis contre l’étroitesse de vue qu’on donne à nos jeunes dans ce genre d’établissements. On ne leur fait pas comprendre ce qu’est la vie, on leur apprend seulement à vouloir diriger la vie des autres. Pour composer la vie, il faut savoir composer au travers de repères qui nous sont montrés par les évènements. C’est cela se baigner dans ses propres racines. Vous souvenez-vous d’un des hommes politiques les plus célèbres que la France a connu ? Peut-être pensez-vous à un certain Général ? Mais plutôt, moi je pense à un certain Antoine (Pinay) qui fut le grand argentier… Il est sorti, comme moi, des enfants de la terre avec sa bonne appréciation de la simplicité. Or cette espèce d’homme est en train de disparaître, pour cause de désertification totale et intégrale.
Vous savez bien que nous sommes envahis par le monde de « médias », qui nous informe, déforme et désinforme.
Mais cela permet d’aborder un constat : nous sommes devenus des esclaves parce que nous sommes pendus continuellement à ce genre de faiseur de vent au débit odoriférant et « soporifique ». Il heurte tous nos sens, tout notre bon sens. Il nous amène parfois dans des chemins complexes ou sans issue. Il honore par conséquent des thèmes dont le but principal est l’éducation par la violence, au travers de la violence et pour la violence gratuite.
Je reconnais également que cela fait travailler une catégorie de personnes qui seraient au chômage. Vous me direz : c’est mieux de les voir au travail que de les voir traîner comme des nomades le long de nos chemins !
Mais je me pose encore des questions sur le bon usage de ces médias. Ils échangent quoi ? Ils nous font échanger quoi ? Je me pose la question et je cherche à savoir quel type d’échange peuvent-ils nous apporter ? Nous n’avons même pas le temps de finir un sujet que nous sommes déjà au suivant. Vous me direz : la vie va tellement vite… que savoir les évènements qui se passent à Pékin ou à Moscou intéresse ceux qui vivent à New York…c’est bien de chanter Mexico, de chanter la rose, à Madrid le madrigal, c’est toujours un bon sens qu’on oublie. Caracoler dans Caracas nous apporte peu, et pourtant on s’y intéresse. Nous avalons toujours avec indigestion ce qu’on essaie de nous faire comprendre. On nous prend pour des Gargantua. Et nous sommes noyés d’informations inutiles, nous avons une tête si pleine que nous avons bien du mal à nous garer dans notre petite cité.
On se gare de tout, et on se garde bien d’échanger, d’être solidaire des autres, parce que cela ne sert à rien. Or nous avons eu une leçon récente. Face à l’immensité des besoins financiers, des jeux financiers, dont ils avaient exclu toute moralité, un petit peuple s’est livré, s’est dressé pour combattre les affres de la perversité inadmissible. Leur roi a pris comme mesure leur défense et a apporté son aide (Belgique).
Sommes-nous aussi incapables de rompre ce désert ? Sommes-nous capables de faire reculer ces princes chez qui règne la violence de l’argent, qui étouffe toute vie ? Au travers de ma lorgnette je vois peut-être les choses déformées. L’art de la politique me parait bien flou, c’est vrai que je vois mal. Mais en examinant de près, nous devons défendre chèrement notre vie. Nous devons éprouver de la honte lorsque le désert s’amplifie. Tout est devenu désert : dans nos campagnes, on n’entend plus le bruit du laboureur mais celui sinistre et morose, comme le sont les humeurs, des machines. Cela me fait mal, c’est pourquoi ce cri. Plus de veillées, plus de conteurs, la poésie s’est enfuie. Gare au tsunami d’idées fausses, d’invectives, d’injures, de slogans hypocrites, de propos vénéneux ! Petit à petit ils vous déracinent et vous laissent comme une souche au gré des flots de mælström, des cyclones créés par les faiseurs de vent !
Mesdames, Messieurs, je voudrais faire appel à vos cœurs.
Je voudrais vous faire comprendre que si vous désirez lutter contre ce désert qui nous assaille, qui nous brutalise en permanence…et transforme le bocage de notre vie.
Je ne vous demande pas de vous lever et d’aller défiler, mais simplement de prendre conscience de vos capacités à vouloir comprendre la vie. A comprendre qu’au travers de vos racines, qu’au travers de vos apports héréditaires, c'est-à-dire de vos ascendants, il s’agit de préparer le capital de nos enfants. Ils sont la matière première de notre succession. Ce n’est pas notre patrimoine financier ou immobilier qui feront transmettre une connaissance. C’est notre propre devenir, notre propre compréhension de la vie. Avoir compris que, dans ces racines, nous pouvons puiser sans cesse nos bienfaits, c’est notre source principale. C’est notre unique richesse. C’est le plus beau cadeau que nous pouvons offrir. Mais aussi le plus difficile, le plus ardu.
Pourquoi le plus ardu ? Parce que c’est une somme d’expériences qu’il faut retrouver, et faire renaître de ses cendres, pour qu’on puisse l’apprécier. Bien sûr les légendes sont nécessaires. Je les vois comme belles histoires dorées. Elles sont utiles pour structurer, nous structurer. Et nous faire comprendre que la forêt, c’est bien la forêt de nos sentiments, celle de nos amitiés. Les arbres, c’est ce que nous plantons nous-mêmes. Bien sûr nous pouvons nous heurter à la théologie et aux principes religieux, aux différents idéaux philosophiques rencontrés au long de ce chemin. Certes, ces intérêts sont très différents des buts commerciaux, financiers ou politiques de chacune de nos nations. Il ne faut point tomber dans l’excès, car les fanatismes, commerciaux, industriels, sociaux ou religieux sont nos pires ennemis, les plus redoutables ennemis de la vie : ce sont des désertifiants. A chaque fois que nous y tombons, nous désherbons un peu plus notre vie.
Quelle joie de voir des gens se réveiller, s’aider, s’entraider pour faire renaître la forêt, pour faire renaître la vie d’un ruisseau. Mais notre ruisseau à nous, il ne faut pas l’oublier non plus. Donc nous devons conforter notre arbre, nous devons l’élaguer sans cesse, pour faire couler cette eau, pour faire vivre cette eau.
Il est nécessaire de se comprendre, de s’aimer. Mais en s’aimant nous devons comprendre, sinon, on finit par ne plus s’aimer, et on se laisse charruer, ensemencer par l’aridité des tourbillons de la vie !
Sachez aussi que le don de soi est une erreur très bondieusarde, qu’elle cache la fuite de ses devoirs envers soi. On se fuit, on ne s’aime pas, on se déteste. Cela crée des vocations d’aide très névrotique. Chacun est son principal prochain. Sainte Catherine de Sienne dans les « Confessions » l’avait très bien écrit, il y a plus de cinq cents ans, en insistant sur le fait que si on n’a pas de joie on n’irradie pas, donc on ne peut pas offrir à autrui. Il faut être bien dans sa peau, aimer la vie pour être un objet d’identification compensatoire pour ceux qui se sont trompés en chemin ou qu’on a dévoyés, déroutés par des enseignements dits sacrés qui ont été déformés, orientés par un patriarcat.
Aussi j’espère ne pas trop vous avoir ennuyés et n’avoir pas créé l’assèchement de vos cœurs. Peut-être vous trouverez cela aride, peu important. Mais sachez que la vie vous importunera en tout temps et à chaque instant.
Je vous remercie de votre attention.